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Prix littéraire Gaston Welter

Articles récents

Envoyez vos textes du 4 mars au 28 juin 2019

2 Mai 2019 , Rédigé par Mairie de Talange

 

Cérémonie de remise du prix de la Nouvelle Gaston Welter 2017

22 Mai 2018 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Archives

 

La brochure 2017

12 Mai 2018 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Archives, #accueil

Prix Gaston Welter 2017 : Fallen Angels (les anges déchus)

12 Mai 2018 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Texte lauréat, #Lauréats, #lauréats

     Tout au bout de la table la télé crachote en 625 lignes. Noir et blanc, bien sûr. Le père se sert un verre de rouge pendant qu’un champignon atomique s’élève dans le ciel du désert algérien du côté de Reggane. Ça fait peur lâche le fils. Des militaires s’avancent vers le lieu de l’explosion. Le commentateur explique que notre pays entre dans la modernité. Le père vide son duralex, plie son couteau, il coupe la télé : «c’est l’progrès, y a rien à craindre». La mère
dessert la table «y’a ton cousin André qu’est là-bas, l’a d’la chance de voir du pays comme ça». La mémé porte les restes aux poules : «il rentre bientôt». Le père part traiter la vigne. Le fils empoigne son cartable, enfourche son vélo et zigzague vers l’école du village en chantant «c’est un fameux trois mats hisse et ho». Il adore ce jeune chanteur, Hugues Aufray. Le certificat d’études c’est la semaine prochaine, et l’institutrice qui mène les dernières révisions confirme : c’est le progrès. Nous allons vers un monde où l’énergie sera gratuite ou presque. Rendez-vous compte, avec quelques kilos d’uranium on remplace des tonnes et des tonnes de charbon. Ça tombe bien, à Centralia, en Pennsylvanie, une mine de charbon est en train de brûler, les pompiers pensent régler ça en quelques semaines. Avec le nucléaire finito le charbon, l’homme sera bientôt libéré du travail. Nous allons vers une société des loisirs. C’est le début des années 60. Vous les enfants, vous le verrez le progrès. L’avenir s’annonce radi-
eux. Le plus dur, c’est le certificat d’études, c’est ça qui rend le père un peu inquiet.

     Tout au bout de la table la télé crachote. Le père repose son duralex sur la table. Il plie son couteau et le range dans sa poche. Il regarde les images de là-bas, en Bretagne. Un pétrolier qui a coulé. Mais comment est-ce possible mon dieu. Un bateau si moderne. Le Torrey Canyon. 280 mètres de long. Les anglais ont bombardé l’épave pour faire brûler le pétrole et puis ils ont balancé des tonnes de dispersant chimique... C’est pire que le mal dit le fils. Y’a rien à craindre répond le père, ils maîtrisent. C’est le progrès. Y’a ton cousin le André qu’est là-bas sur les plages avec le 117ème d’infanterie, y z’enlèvent le goudron. La mère fait la vaisselle : «toujours à se balader, celui-là». Le père éteint le poste : «bon c’est pas tout, faut que j’aille traiter le tabac». Le fils part réviser dans sa chambre avec Between the Buttons des Stones sur son Teppaz. C’est la fin des années 60. La première partie du bac c’est dans 3 mois. «Baisse TA musique» lui crie la mère. La mémé est aux poules, de toute façon elle est sourde.

     Tout au bout de la table la télé grésille. En noir et blanc on voit un présentateur qui parle des événements à Paris. Mais pas trop. Il y a 2 chaînes et c’est le ministre qui fait le J.T. Le fils coupe la télé et règle la radio sur les grandes ondes, accroche une station périphérique, Europe ou Luxembourg. Il y a de l’image dans le son. De la fumée, des CRS, des jeunes qui courent, qui lancent des pavés, des voitures qui brûlent, des grèves partout, De Gaulle, Pompidou, Cohn-Bendit, Les Pink Floyd. Il est 5h, Paris s’éveille de Dutronc est sorti il y a un mois. Le lycée est en grève, dit le fils, faut que j’y aille. Tu manges pas demande la mère en mettant la table. Mais déjà la mobylette bleue pétarade, croise le père sur son beau tracteur, ça effraye les poules de mémé. Le père, il a fini par l’acheter, le Massey-Ferguson, avec l’aide du Crédit-à-Bricoles. Maintenant il peut traiter en grand, pas comme avant avec son pulvérisateur sur le dos. Le progrès comme on dit à la coopé. Le père se sert un coup de rouge. Foutue année, il est piqué.

     Tout au bout de la table la télé ronronne. Elle reste longtemps allumée maintenant. On l’oublie parce qu’il n’y a plus grand monde pour discuter. Trois assiettes de tourin fument. C’est la soupe à l’ail du Périgord. Le père verse du rouge sur le reste de soupe au fond de l’assiette. Faire chabrol comme on dit ici. La mémé est de plus en plus sourde. Le fils n’est plus là. Il étudie à Paris. Le père regarde dans le vide, en direction du poste que son regard traverse.
On y parle d’un accident de prospection au Turkmenistan, à Darvaza. C’est rien, une poche éventrée qui pisse son gaz. Les ingénieurs y foutent le feu pour éviter tout problème toxique avec les émanations. Ca doit chauffer dit la mère, j’aimerais pas y être. Ça craint pas dit le père, dans quelques jours ils vont se geler comme avant, z’ont intérêt à remettre leurs parkas. Il porte le chabrol à ses lèvres, l’assiette est encore chaude. Il se sent un peu fatigué en ce moment. La mémé demande pourquoi le fils ne vient pas manger. Elle pose la question à chaque repas. Elle fait souvent ça depuis quelque temps. La mère répète en élevant la voix : il est à Paris pour être docteur. Ah bon dit la mémé, il veut être un docteur, mais qui c’est qui va reprendre la ferme, faut que j’aille aux poules. Assieds-toi dit la mère, on n’a pas fini de manger. J’ai plus faim dit le père qui met son couteau dans sa poche, faut que j’aille traiter. Sur l’écran il y a une forêt asiatique qui brûle et l’US Air Force qui pisse des produits pour éradiquer la végétation. Il se lève sans éteindre la télé. Derrière le tracteur, les mêmes
produits que dans les avions.

     Paris. Dans une petite piaule du côté du parc Montsouris le fils révise à fond. Il passe son certificat de compétence clinique pour valider son deuxième cycle de médecine. Six ans qu’il s’accroche. La voix de Tom Waits raclant Eggs and sausages à la radio prolonge l’ambiance du stage aux urgences. Il n’a pas la télé. La radio à Paris c’est FIP. Infos et super musique. Où voulez-vous écouter Tom ? Tiens les infos c’est Seveso. De la dioxine s’est répandue dans l’atmosphère de la plaine Lombarde. Hoffmann-Laroche n’a déclaré l’accident que 10 jours après. Ils devaient être occupés à préparer le petit gueuleton offert à la promo de médecine en ce début Juillet 1976 pour présenter les derniers médocs mis sur le marché. Des bienfaiteurs. En Périgord la mémé est morte aux poules. Le père a téléphoné au fils. Il soufflait au bout du fil. Le fils s’inquiète - c’est rien dit le père, le docteur me donne ce qu’il faut. Comme à la mémé, mais elle, elle prenait pas bien ses cachets. Fallait toujours vérifier. Elle oubliait tout. Sauf les poules. Elles étaient toutes là à caqueter comme des folles : c’est ça qui a alerté ta mère. Toutes ces poules autour de la mémé avec le panier de grains par terre. C’était son heure. Comme tout le monde. Mais avec tous ces médicaments qu’ils inventent j’ai plus peur d’être malade maintenant. Y soignent presque tout. C’est comme pour le maïs, y’a plus de maladie avec les nouveaux produits. Au fait André a quitté l’armée. Il est dans la sécurité à Paris, à la tour Montparnasse. Il en aura vu du pays celui-là. Tu descends nous voir pour l’enterrement, mardi? Ta mère a fait des confits. Elle dit que l’air parisien te réussit pas. Tu parles, avec toutes ces voitures. Elle t’embrasse. C’est ça papa, je vous embrasse aussi, à mardi.

     Rien a changé. A l’église le curé a raconté la vie de Marie. 86 ans. Comment elle a été courageuse, et patati, surtout à la guerre toute seule à élever ses enfants et le mari qui n’est jamais revenu, et patata, souvent à la messe, dévouée, et puis qui aidait au patronage, et poutoutou. Enfin une mémé d’enfer, mais le curé l’a pas dit ça. Après on s’est retrouvé à la ferme avec tout le village. On a beaucoup bu. Le vin n’était pas piqué cette année. Tout le monde est venu voir le fils. Tu parles, un médecin. Et pas encore marié. Qu’est-ce-que t’attends? T’as pas trouvé une fille à Paris? Tu parles, il doit en avoir plusieurs. Clins d’oeil. Encore un coup de rouge. Le père rit. Il souffle un peu. C’est la fin de l’après-midi. Tout le monde se sépare. Ça a été un bel enterrement. Mais faut rentrer, demain on traite le tabac, à chaque plan sa goutte de potion magique. Quant à la fin de l’été on rentre les pieds pour les suspendre dans les granges, tout le monde est couvert de plaques rouges. Sur les mains, sur les bras, sur le visage. Enfin un peu partout, mais y a rien à craindre, ça s’en va tout seul et le tabac n’a jamais été aussi beau. Au bout de la table la télé jette ses couleurs. Le père a acheté le poste avant la mort de la mémé. Au moins elle aura vu ça, la couleur. Ca change de voir en couleur Seveso. Toute cette végétation jaunie, cramée, là-bas en Italie, et tous ces animaux qui crèvent en couleurs par milliers. Ca peut pas arriver ici, dit le père, ici on contrôle, on craint rien. La mère sert le confit. Mange, ça te fera du bien, tu es bien pâle, c’est l’air de Paris. Le fils est engourdi devant les images. A la fac certains profs travaillent sur des affections qui sont de plus en plus courantes. La mère tend une boîte au père : «t’as encore oublié tes cachets». Le père en glisse une poignée dans sa gorge suivie d’une lampée de rouge : «ça y est, j’ai pris mon Medoc !».

     Dans le train de nuit qui remonte vers Paris, le fils feuillette un magazine. Tiens, il y a un article sur Centralia, en Pennsylvanie. Ça brûle toujours. C’est la deuxième génération de pompiers qui s’y colle et paraît qu’il y aura encore
du boulot pour la suivante. Faut pas s’affoler, tout est sous contrôle. Tchak-atchak-
a-tchak... somnolence dans ce train direct gare Montparnasse. Il est 5
heures, Paris s’éveille...

     Dix ans que la mémé est morte. Le cousin André est fatigué. C’est la mère qui a téléphoné. Le fils prend le train ce soir pour le Périgord. La SNCF annonce que le direct Paris/Agen, celui qui s’arrête à Siorrrac-en-Pérrrigord comme le chante le chef de gare va être supprimé. Place à la technologie. Au TGV. 250 km/h pendant 20 minutes puis un arrêt de 5h au milieu de nulle part bouclé dans l’air conditionné. Rêver avec le paysage qui défile dans un roulis caténéresque, tchak-a-tchak, visage giflé au vent à la fenêtre du couloir, e pericolo sporghesi , do not lean out the window, faut oublier. Le chef de gare, aussi, faudra l’oublier. Dans le train, le fils lit. A Darvaza, Turkmenistan, ça lui rappelle quelque chose d’il y a longtemps, à Darvaza donc, le cratère de gaz brûle depuis 20 ans. By night c’est spectaculaire, le site est dorénavant une destination touristique signalée dans les guides. Rien à craindre, les ingénieurs contrôlent. À Siorrrac-en-Pérrrigord, le cousin André attend devant la gare avec la vieille 4L. L’autoradio chante Marcia Baïla des Rita. Il a quitté la Tour Montparnasse. Fatigué. De retour au pays, il bricole un peu et s’occupe du jardin. Ah oui, maintenant c’est lui qui rentre les poules. Dans la voiture qui cahote, il parle par à-coups et respire fort. Ca siffle. Le fils connaît ça. Il en a quelques-uns, des André, dans son service. André pense que c’est parce qu’il a trop picolé et trop fumé. Surtout à l’armée. Tu sais, dans le désert, on avait les clopes à l’oeil et en Bretagne les binouzes à gogo... Quand j’ai quitté l’armée je me suis calmé. A la tour Montparnasse j’étais peinard. Je suis parti juste à temps, ça devenait bordélique avec tous ces travaux de déminage euh de démiantage euh enfin des travaux quoi. Le père a préparé un casse-croûte. Sur la toile cirée à carreaux vichy une tourte de pain, un jambon de vingt livres et une bouteille de rouge tout frais tiré de la cave. Les hommes se coupent de larges tranches de pain et des éclats de jambon. Le père lève son verre. On n’a plus le droit de tuer son cochon, mais je l’ai fait quand même... je les emmerde. Il allume la télé pour les infos. Là-bas en Ukraine il y a un problème dans une centrale nucléaire. Un nuage se balade à travers l’Europe., mais il n’a pas franchi la frontière, il avait pas ses papiers. Rien à craindre tousse le père,avec les moyens techniques qu’il y a là-bas, ça va vite être réglé. Ça va faire du boulot dit André, j’aurais dix ans de moins, j’irais. Même pas peur. La mère sert le tourin. Les hommes font chabrol. Il est fameux le vin cette année, les traitements de la coopérative, rien à dire, y sont vraiment efficaces. Il pleut. La "zarza ouelha", la "charge -brebis" comme disent les anciens. Le fils adore cette bruine. Il part faire un tour à la rivière. Il prescrira des médicaments à André demain, avant de repartir...

     Le fils arrive à la ferme aujourd’hui. André est mort. La picole, ont dit ses relations de bar. Le curé a fait son oraison, à lui, André, qui ne mettait jamais les pieds à l’église. Le curé a raconté sa vie. Il s’était baladé en chemise kaki vers le lieu de l’explosion dans le désert algérien en 61, avait ramassé le mazout sur les rochers bretons en 67, filtré l’air de la tour Montparnasse avec ses poumons puis était revenu à la ferme, inapte au boulot pour raisons médicales. Là il filait un coup de main au père. A deux c’était plus facile, avec tous ces produits, pour s’occuper du tabac, du maïs, des fraises... Le soir il jouait au tarot au café de la Mairie. Quand le curé passait, André, eucharistique, le saluait de son verre «buvez, ceci est mon sang». Mais ça, le curé l’a pas dit...

     Le père est souvent assis sur le banc devant la porte de la cuisine. Le soleil réchauffe les pierres. La télé est muette. La mère est debout sur le perron, un chiffon à la main. Elle a fait une tarte avec les pommes qu’elle conserve dans l’obscurité de la cave à côté du tonneau de rouge. Les émotions envahissent le fils. C’est le vin. Il a de la fleur et pétille un peu. Rien à voir avec ces crus offerts par les labos qui logent sa cave d’appartement pilotée digital. Une sensation de fraîcheur, un bonheur de fleurs cueillies pour maman en revenant de l’école, une course de vélo dans le soleil vers la rivière qui coule plus bas dans la plaine. Le fils trinque avec le père dans un verre à moutarde. Il ferme les yeux. Non, il n’échangerait pas ce verre contre tous les Haut Brion du monde. Le père repose son verre en tremblotant. Ca fait quelque temps que sa main s’agite. Soixante cinq ans c’est pas jeune. Soixante-cinq c’est pas vieux non plus dit le fils, je vais te prescrire des examens.

     Le père n’a pas fait d’examens. Pourquoi faire ? Des conneries tout ça. Toujours vécu à la campagne. Toujours travaillé en plein air. Que du bonheur. À ouvrir la terre, à passer les bons produits de la coopérative, à traiter les céréales, les fruits et les légumes pour qu’ils poussent bien, sans défauts. Courageux le père, le curé l’a dit à l’église : le père n’avait pas peur. Un travailleur de la terre. Toujours prêt à rendre service. A donner sa chemise. Même la télé, qu’il avait fini par donner à l’hospice. Il ne regardait même plus la météo. Tout ce ciel qui se détraque. Il avait gardé le carton de la télé. Il l’a posé sur le bureau de la mère supérieure : «si Dieu existe j’espère qu’il a une bonne excuse». Mais ça le curé l’a pas raconté.

     Aujourd’hui le fils est revenu à la ferme. Les terres ont été cédées à un céréalier, qui fait aussi du cochon. Beaucoup de cochons. D’abord on dit plus cochon. Ça c’était quand le père faisait son jambon. On dit porc. La mère a fait une tarte aux pommes. Il n’y a plus de piquette à la cave. Le fils vient de prendre sa retraite. Dame, soixante-cinq ans. Il y a une nouvelle télé dans la cuisine. Extra plate. Avec plein de chaines. Plein d’émissions. On y apprend que Fukushima c’est pas de bol. La faute à la météo détraquée dirait le père. Dans le golfe du Mexique le pétrole fait des vagues. On vient d’inscrire la maladie de Parkinson comme une maladie professionnelle chez les agriculteurs victimes des pesticides. Il y a une liste spécifique des maladies professionnelles pour les agriculteurs. A Darvaza, Turkménistan, ça brûle toujours. Il y a de belles images sur internet. Centralia en Pennsylvanie à disparue administrativement. Les experts pensent que le charbon va se consumer encore 250 ans. La question n’est plus de savoir si les eaux vont monter mais à quel rythme. Une expédition retour d’Arctique a observé l’apparition de la pluie depuis deux ans et les bébés pingouins, mouillés, meurent dès que ça gèle. Le président des Etats Unis refuse de participer à la lutte contre le réchauffement de la planète. Bob Dylan sort un nouvel album : Fallen Angels, les Anges Déchus. J’en parlerai au curé. La mère a fait du poulet. Pas comme avant. Juste des cuisses. A quatre-vingt-cinq ans, elle ne s’occupe plus des poulets. Et puis les restes il y en a plus assez. La barquette de cuisses de poulet vient du supermarché. Comme le vin. Pratique, le bouchon est en plastique. Comme la bouteille. Pour l’eau pareil. Non je vais plus la tirer au puits. La mairie nous a prévenus, elle n’est plus bonne. Rapport aux porcs. J’ai pas fait de frites, j’ai pris des chips. Le fils regarde la mère. Il sourit. Il fait beau dehors. Tout à l’heure il ira faire un tour de vélo au bord de la Dordogne. Les chips craquent sous ses dents. Même pas peur.


Jean-Louis Maury

Palmarès 2017

12 Mai 2018 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Palmarès, #Texte lauréat

Palmarès 2017


Prix Gaston Welter :
"Fallen Angels (les anges déchus)"
Jean-Louis Maury (Monplaisant - 24)


1er Prix d’honneur :
"Les cris de chaton de Lise"
Mathilde Lavergne (Pau - 64)


2ème Prix d’honneur :
"Comme avant"
Jean-François Jeanne (Triel-sur-Seine - 78)

 

7 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
"Mat"
Renaud Corbin (Messei - 61)
"Sursaut collectif"
Agathe Hitchon (Nantes - 44)
"Comme avant"
Jean-François Jeanne (Triel-sur-Seine - 78)
"Les cris de chaton de Lise"
Mathilde Lavergne (Pau - 64)
"Fallen Angels (les anges déchus)"
Jean-Louis Maury (Monplaisant - 24)
"Le jardin d’enfants"
Patrick Morel (Orival - 76)
"Sans profession"
Gautier Savard (Metz - 57)


44 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
"Olya"
Gwendoline Allamand (Feigères - 74)
"Saisons"
Véronique Amans (Surgères - 17)
"Premier appel"
"Meurtrissure"
"La fin des saisons"
Marie Berthelier (Toulouse - 31)
"Les remparts"
Claude Carré (Champigny - 89)
"Le couloir"
"L’arme à l’oeil"
Florent Cerou (Metz - 57)
"Mat"
Renaud Corbin (Messei - 61)
"Le ru"
Christelle Courau-Poignant (Epaux-Bézu - 02)
"Une fille à marier"
Thierry Covolo (Lyon - 69)
"Vacarme"
Jean-Marie Cuvilliez (Etais-la-Sauvin - 89)
"Le choc"
Olivier Delau (Capdenac - 46)
"Des éclats de couleurs"
Marie-Lou Dulac (Paris - 75)
"Feu rouge"
Alexandra Estiot (Paris - 75)
"Croquemitaine"
Martine Ferachou (Saint-Junien - 87)
"Fran"
Jean-Marie Fessler (Brumath - 67)
"Regards interdits "
Magali François (Saint-Maximin-la-Sainte-Baume - 83)
"Le pendentif"
"Statistiques"
"Les puces de St-Michel"
Roland Goeller (Bègles - 33)
"Sursaut collectif"
Agathe Hitchon (Nantes - 44)
"Un accident"
Solange Jarry (Périgny-sur-Yerres - 94)
"Comme avant"
Jean-François Jeanne (Triel-sur-Seine - 78)
"Une ombre dans le noir"
Michèle Labbre (Léognan - 33)
"Rideau !"
Sylvie Lavarte (Liesse-Notre-Dame - 02)
"Les cris de chaton de Lise"
Mathilde Lavergne (Pau - 64)
"La statuette aztèque"
Michelle Maire (Marange-Silvange - 57)
"Mademoiselle Valentine"
Bernard Marsigny (Marcoux - 42)
"Fallen Angels (les anges déchus)"
Jean-Louis Maury (Monplaisant - 24)
"Le jardin d’enfants"
Patrick Morel (Orival - 76)
"Ave Maria"
Jean-Marie Palach (Saint-Maur - 94)
"Darjeeling"
Fabien Philippe (Montréal - Québec)
"Naufrage"
"La petite voix"
Marie-Christine Quentin (Alençon - 61)
"Boum"
Chantal Rey (Montauban - 82)
"Hauteur de vue"
Claire Rieussec (Toulouse - 31)
"Lucien"
Jean-Marc Santini (Marseille - 13)
"Sans profession"
Gautier Savard (Metz - 57)
"Parkinson café"
Catherine Schmoor (Lyon -69)
"L’échappée belle"
Christiane Sibieude (Strasbourg - 67)
"Abandonnée"
Jean-Claude Thibaud (Dublin - Irlande)
"Des crocs à la rhubarbe"
Corinne Valton (Colombier - 03)
"Promenade de santé"
Naïm Zriouel (Vitrolles -13)

 

Envoyez vos textes du 1er mars au 29 juin 2018

21 Février 2018 , Rédigé par Mairie de Talange

Consulter le règlement ici

La Cérémonie de remise des prix est repoussée au mois de mai

19 Janvier 2018 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #accueil

La cérémonie de remise des prix initialement prévue le 20 janvier 2018 est repoussée au samedi 12 mai 2018. Le palmarès sera dévoilé à ce moment. Chaque participant recevra par la suite la brochure avec les textes primés.

318 textes pour l'édition 2017

5 Juillet 2017 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Général

318 textes sont présentés au jury pour l'édition 2017. Nous vous remercions très sincèrement pour votre participation.

Après 2005 (542 textes), 2006 (473 textes), et 2008 (343 textes), l'année 2017 est la 4ème meilleure contribution de textes depuis la création du prix en 1996

Palmarès 2016

17 Mai 2017 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Palmarès

Palmarès 2016

Prix Gaston Welter :
« Des vies mal pliées »
Claude Mamier (Albi - 81)

1er Prix d’honneur :
« Les pommiers »
Muriel Fèvre (Belfort - 90)


2ème Prix d’honneur :
« La grande régalade »
Camille Lysière (Espoey - 64)

 

5 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
« Les pommiers »
Muriel Fèvre (Belfort - 90)
« La grande régalade »
Camille Lysière (Espoey - 64)
« Des vies mal pliées »
Claude Mamier (Albi - 81)
« Des morts si naturelles »
Bernard Marsigny (Marcoux - 42)
« L’oeil dans les yeux »
Jean-Pol Rocquet (Sainte-Marie-la-Mer- 66)

24 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
«Autoportraits en garçon fou»
Gérard Ambroise (Paris -75)
«Laisser filer la vie»
Vincent Culambourg (Villers-Saint- Paul - 60)
«Février était là»
Michel Darche (Chevannes - 89)
«Absence»
Sophie Etienbled (Bois-Guillaume -76)
«Les pommiers»
Muriel Fèvre (Belfort - 90)
«L’homme au bâton de rêve»
Mireille Florentin (Castelnau-le-Lez - 34)


«Alice»
«Cerise sur le gâteau»
Roland Goeller (Bègles - 87)
«Le jean»
Marion Haas (Cobonne -26)
«Le roi René»
Mireille Lafitte (Sarpourenx - 64)
«La grande régalade»
Camille Lysière (Espoey - 64)
«Des vies mal pliées»
«Le survivant»
Claude Mamier (Albi - 81)
«La petite lueur»
Laurence Marconi (Bussy-Saint- Georges -77)
«Des morts si naturelles»
Bernard Marsigny (Marcoux - 42)
«Vu d’en bas»
Isabelle Mercat-Maheu (Ermont - 95)
«La graffeuse du crochet»
André Morel (Jonquerettes - 84)
«La connexion»
Bruno Morelli (Paris- 75)
«Petit bijou»
Jean-Marie Palach (Saint Maur - 94)
«Clochette»
«L’oeil dans les yeux»
Jean-Pol Rocquet (Sainte-Marie-la-Mer- 66)
«La main coupée»
Isabelle Verneuil (Bosmie-l’Aiguille - 33)
«Fenêtres sur rues»
Eddie Verrier (Saint-Saulve - 59)
«Un gars pas net»
Jean-François Vielle (Rennes -35)

Prix Gaston Welter 2016 : « Des vies mal pliées » de Claude Mamier

17 Mai 2017 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Texte lauréat, #Lauréats, #lauréats

      Tasnima décore la chambre d’hôtel avec des animaux. Un lapin jaune, un poussin bleu qui sort de son oeuf, une grenouille, des poissons. Le chat est un peu tordu. La grenouille  sauterait si le papier était plus épais. Ou alors elle s’est trompée dans les pliages.
      La chambre est plus petite que celle du mois dernier, mais plus grande que la toute première, il y a six mois : Tasnima a son propre lit de camp et n’est pas obligée de dormir avec sa soeur. Kheda s’agite dans son sommeil quand elle rêve de leur ferme près de Grozny.
En grande section de maternelle, on n’apprend pas encore à lire. La maîtresse a montré les pliages de la cocotte en papier, et distribué d’autres schémas à ceux qui voulaient continuer à la maison. Ça porte un nom, de fabriquer des choses avec du papier plié. Un nom japonais dont Tasnima n’arrive pas à se souvenir.
       Le renard, c’est dur. Le résultat paraît simple, sauf que certains plis
sont trop compliqués pour des mains d’enfant ; il faudrait celles de Maman ou de Kheda. Papa a de gros doigts et n’a pas toujours le temps de jouer, enfin c’est ce qu’il dit parce qu’il ne fait pas grand- chose de ses journées.
       Aujourd’hui, c’est mercredi. Tasnima est seule dans la chambre avec le renard qui refuse d’apparaître. Seule avec les animaux qui la regardent de leurs grands yeux noirs tracés au feutre. Ses parents n’aiment pas la laisser sans surveillance, mais la préfecture impose les jours de rendez-vous. Et Kheda doit y aller aussi parce que c’est elle qui parle bien français. Kheda est en cinquième. Elle a de bonnes notes. Elle lit des livres et chaque papier bizarre de la préfecture en fronçant les sourcils.
                    

                                                                         *


       Le renard résiste. Mieux vaut se remettre aux lapins. Maman adore les lapins. Elle en avait plein à la ferme. Tasnima est trop jeune pour se souvenir vraiment de Grozny ou de la Tchétchénie. Parfois, dans ses rêves, elle voit un cheval noir tourner en rond dans un enclos. Papa dit que ce n’est pas un rêve, que c’était son cheval à lui, là-bas. S’il le dit, ça doit être vrai. Tasnima a le schéma du cheval, mais pas de papier noir. Papa serait sans doute triste si le cheval n’était pas noir.
       Ça fait longtemps qu’ils sont tous partis à la préfecture. Le service des étrangers ferme à onze heures et demi et il est déjà plus de midi. Peut-être que la machine leur a donné un mauvais numéro. Peut-être qu’ils n’ont pas pu passer et qu’il faudra y retourner demain.
        Peut-être aussi qu’on les a capturés.
       C’est compliqué, la préfecture. Un peu comme le renard. Il faut aller y chercher les papiers spéciaux, ceux qui permettent de rester en France, mais tant qu’on ne les a pas, l’endroit est plein de méchants prêts à vous punir de ne pas les avoir. Prêts à vous arrêter. À vous mettre dans un avion et à vous renvoyer là d’où vous venez, sans vous demander votre avis.
       Une fois, Tasnima a dit à Kheda que ce serait rigolo : prendre l’avion, se promener, et revenir. Kheda a répondu que ça ne marcherait pas, parce qu’en Tchétchénie, il y avait des gens fâchés contre Papa, des gens qui lui feraient beaucoup de mal s’ils le retrouvaient. Ce jour-là, Tasnima a compris que les Papas pouvaient avoir peur.

                                                                        *


      Le temps passe. Tasnima fait des fleurs pour Maman. Les fleurs, c’est long à colorier, alors ça aide à attendre. Il ne faut déborder ni sur le coeur ni sur la tige quand on s’occupe des pétales. Il faut se concentrer. Et quand on est concentré, on ne regarde pas sa montre.
      Les services sociaux les changent d’hôtel régulièrement, trop vite pour changer aussi d’école. Alors parfois c’est près, et parfois ça dure une heure avec plusieurs bus. Donc Maman perd quatre heures, deux le matin et deux l’après-midi.
      Ce serait plus simple qu’on leur donne une maison au lieu de les déplacer d’hôtel en hôtel. Enfin, c’est ce que pense Tasnima. Elle n’a pas compris grand-chose quand Papa a tenté de lui expliquer son erreur. D’ailleurs, elle n’est pas convaincue que Papa en sache vraiment plus qu’elle. Les adultes détestent admettre qu’ils ne savent pas tout.
       Tasnima lève les yeux vers les murs de la chambre. Vers les animaux accrochés avec du scotch, jamais avec des punaises qui abîmeraient la peinture blanche. C’est la forêt. Une forêt discrète, silencieuse.
      Pourtant, elle a parfois l’impression de l’entendre. Des chants d’oiseaux. Le miaulement d’un chat. Le craquement des feuilles mortes sous une patte. Ça l’aide à s’endormir.
      Mieux vaut ne pas en parler puisque personne d’autre n’y prête attention. À moins qu’ils n’osent pas en parler non plus.
       À chaque déménagement, Tasnima monte sur les épaules de Papa, décroche les animaux et les range à plat dans une boîte à chaussures. Après, dans la chambre suivante, elle reprend certains plis pour donner à nouveau du relief. Ça fatigue le papier. Comme si les animaux vieillissaient. Quand un lapin n’arrive plus à se mettre en relief, c’est qu’il est mort.

                                                                        *


       Les fleurs en papier n’aiment pas la pluie. La rose s’est fanée quand Tasnima a pleuré dessus. Il est deux heures passé.
      Une famille tchétchène habitait près du premier hôtel, au coin de la rue. Une famille avec les papiers spéciaux. Les jours de préfecture, Maman
disait que si ça durait trop longtemps, Tasnima avait le droit d’aller se réfugier
chez eux. Parce qu’on ne mettait pas une famille dans l’avion s’il manquait un
enfant.
       Là, il n’y a plus personne chez qui se cacher. Si Papa, Maman et Kheda ont été arrêtés à la préfecture, Tasnima espère au contraire qu’on ne l’oubliera pas. Qu’on viendra la chercher. Elle ne veut pas rester seule en France. S’il faut rentrer en Tchétchénie, si les méchants retrouvent Papa, alors elle leur fera des animaux, et des fleurs, et tout le monde sera content, et tout ira bien.
      Tasnima se mouche à grand bruit. Une caresse lui effleure la main, mais quand elle rouvre les yeux, il n’y a personne à ses côtés. Elle compte à voix basse les animaux scotchés au mur, une fois, deux fois, trois fois. Aucun ne manque. Le renard frémit. La chambre est pleine de courants d’air.


                                                                      *


      La porte s’ouvre. Ce n’est pas un policier. C’est Maman.
      Tasnima se jette dans ses bras. Kheda est là aussi, elle explique qu’il y a eu un problème avec les bus et qu’il a fallu rentrer à pied. Papa ne dit rien. Il s’assied sur le lit, la tête dans les mains. Tasnima sait quand Papa est triste, même s’il ne pleure jamais. En général, la préfecture le rend triste.
       Tasnima va le voir. Elle lui écarte doucement les mains pour qu’il montre ses yeux. Il s’efforce de sourire. C’est un bon début.
      Papa prend la chemise cartonnée qu’il avait posée sur l’oreiller. Dedans, les papiers de la préfecture. Tasnima les reconnaît facilement : ils commencent toujours par le visage de la France, cette femme si pâle, vue de profil, avec son bonnet bizarre. Papa soulève les documents et sort des feuilles de couleur, des jaunes, des bleues, des vertes. Un cadeau. Pour s’excuser d’être revenu si tard.
      Tasnima saute de joie. Ce papier-là n’est pas seulement coloré, il est aussi plus rigide : la prochaine grenouille sautera très haut.
       La forêt sera plus belle. Tout ira bien.

                                                                 *


       Nouvel hôtel. Pas trop loin de l’école, quinze arrêts de bus. La maitresse a distribué un livret de schémas aux élèves désireux de poursuivre les pliages.
       La grue, c’est pas facile non plus. Les Japonais adorent cet oiseau ; ils ont même une légende qui dit que si on en façonne mille, on a droit à un voeu. Les mille grues alignées, ça porte un nom de là-bas, encore plus compliqué que le précédent. Impossible de s’en souvenir.
      Pas grave. L’important, c’est le voeu.
      Que Papa finisse par s’entendre avec la préfecture.
     Tasnima veut lui offrir la première grue, et la rendre très particulière. Alors elle s’entraine avec du papier ordinaire, plusieurs fois, histoire de bien prendre les mesures. Ces grues-là ne compteront pas dans les mille puisqu’elle les déplie afin de les poser sur la grande feuille d’où jaillira l’oiseau numéro un : les repères doivent être parfaits.
     Elle sait que les oiseaux souffrent. Qu’elle les tue à la naissance. La nuit, elle n’entend plus le bruit rassurant des animaux dans la forêt. Ça lui manque.
     Tant pis. Les repères doivent être parfaits.
     Tasnima passe à l’action lors d’une matinée solitaire. Elle se concentre, la langue pincée entre les dents, et certains gestes lui semblent soudain faciles à force de les avoir répétés pendant des heures. Peut-être les mille grues prendront-elles moins longtemps que prévu.
     Elle attend. Sa famille rentre à onze heures, dans la moyenne des visites à la préfecture. Tasnima montre la grue à Papa : elle a découpé la carte de l’Europe pour que les pliages amènent Paris sur une aile et Grozny sur l’autre.
     Kheda peste parce que c’était sa carte à elle. Maman leur tourne le
dos, elle fait de drôles de bruits, et Tasnima n’arrive pas à savoir si elle rigole
ou si elle pleure. Papa, lui, examine l’oiseau sous toutes les coutures avant de
perdre son regard au loin.
     Tasnima lui explique la légende en bafouillant. Il hoche la tête, puis pose la grue sur le lit, en douceur, comme un objet précieux. Il ouvre la chemise cartonnée et en sort les papiers avec le visage de la France en disant que Tasnima peut en faire des tas de grues, parce que cette fois c’est fini, c’est perdu.
     En découpant deux carrés par feuille, il doit y avoir de quoi en fabriquer une bonne centaine. Un immense vol d’oiseaux sur les quatre murs de la chambre.
    Maintenant c’est sûr, Maman pleure.