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Prix littéraire Gaston Welter

Palmarès

13 Mai 2014 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Lauréats, #Palmarès

Palmarès 2022


Prix Gaston Welter :
"H2O"
Florentin Grévy (Paris – 75)

1er Prix d’honneur :  
« Fin de promenade »
Guy Bellinger (Montigny-lès-Metz – 57)


2ème Prix d’honneur :
« L’an 2000 »
Yvan Robberechts (L’Echelle-Saint-Aurin – 80)


Par ordre alphabétique :
8 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
"Fin de promenade"
Guy Bellinger (Montigny-lès-Metz – 57)
"Venise la rouge"
Jean-Marie Cuvilliez (Saint-Amand-les-Eaux – 59)
"H2O"
Florentin Grévy (Paris – 75)
"A bleu le corps"
Magali Jakob-Loué (Ottobrunn – Allemagne)
"Soirée parisienne"
Isabelle Lespingal Lévy (Fuveau – 13)
"Régime sec"
Bernard Marsigny (Marcoux – 42)
"Une dernière tasse"
Marie-Christine Quentin (Alençon – 61)
"L’an 2000"
Yvan Robberechts (L’Echelle-Saint-Aurin – 80)


24 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
"Rève clandestin"
François Angevin (Asnières-en-Bessin – 14)
"Fin de promenade"
Guy Bellinger (Montigny-lès-Metz – 57)
"Venise la rouge"
Jean-Marie Cuvilliez (Saint-Amand-les-Eaux – 59)
"Louise et les puces"
Jean-François Dubos (Paris – 75)
"La tache"
Gilles Eskenazi (Berneuil-sur-Aisne – 60)
"Capituler"
Cécile Gaud (Marseille – 13)
"H 2O"
Florentin Grévy (Paris – 75)
"Probabilité : 0,9%"
Nadine Groenecke (Verdun – 55)
"A bleu le corps"
Magali Jakob-Loué (Ottobrunn – Allemagne)
"La troisième maison"
Eric Lafitte (Nice – 06)
"Et tout le bataclan"
"Sur un fil"
Aurélia Lesbros (Cabestany – 66)
"Soirée parisienne"
Isabelle Lespingal Lévy (Fuveau – 13)
"Et derrière ce rideau"
Annie Lévy (Epinay-sur-Orges – 91)
"L’anonyme"
INCA
"Régime sec"
Bernard Marsigny (Marcoux – 42)
"Une étoile filante"
Cayral P.E (Paris – 75)
"Une dernière tasse"
Marie-Christine Quentin (Alençon – 61)
"Cancre"
"L’an 2000"
Yvan Robberechts (L’Echelle-Saint-Aurin – 80)
"Dans le sens de la marche"
Marie Romanini (Argenteuil – 95)
"Une richesse pour toute la vie"
Karine Ségalen (Lacroix-Falgarde – 31)
"Ces petits détails qui font la différence"
Nathalie Vansieleghem (Bruxelles – Belgique)
"La transparence des caractères"
Jean-François Vielle (Rennes – 35)


Palmarès 2021


Prix Gaston Welter :
"Le poids d’une existence"
Léodie Mancini (Jongny – Suisse)

1er Prix d’honneur ex aequo :
"Dystopie"
Marie-Hélène Moreau (Paris – 75)


"Gloussement sémantique"
Emmanuelle Stambach (Toulouse – 31)


8 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
"Les coups"
Jennifer Achin (Clapiers – 34)
"Jean-Phi"
Guillaume Chouteau (Poitiers – 86)
"La géométrie des tulipes"
Philippe Crubezy (Bagnolet – 93)
"Intime conviction"
"Nuit"
Laurence Georgen (Esch-sur-Alzette – Luxembourg)
"Dystopie"
Marie-Hélène Moreau (Paris – 75)
"Le poids d’une existence"
Léodie Mancini (Jongny – Suisse)
"Gloussement sémantique"
Emmanuelle Stambach (Toulouse – 31)


39 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
"Les coups"
Jennifer Achin (Clapiers – 34)
"Ab alone"
Christian Bergzoll (Lempdes – 63)
"Kara"
Georges Bernay (Thizy-les-Bourgs – 69)
"Immortelle"
Jean-Michel Biteau (Trélazé – 49)
"Le retour d'Anna"
Daniel Bourgeon (Clamart – 92)
"Dessous de table"
Dorothée Coll (Sartène – 20)
"Jean-Phi"
Guillaume Chouteau (Poitiers – 86)
"Triste"
François Comet (Paris – 75)
"Le retour de flamme"
Thierry Covolo (Nantes – 44)
"Berceuse rouge"
Claudine Créac’h (Auxerre – 89)
"La géométrie des tulipes"
"Dimanche"
Philippe Crubezy (Bagnolet – 93)
"L’ombre"
"La queue"
"Etre une heure, une heure seulement"
Jean-Marie Cuvilliez (Saint-Amand-les-Eaux – 59)
"Entre ces murs blancs"
Lydie Donnet (Les Clayes-sous-Bois – 78)
"Vague à l'âme"
Cyrille Divry (Angoulême – 16)
«Entrée interdite»
Brigitte Dujon (Marseille – 13)
"L'endroit des filles"
Christelle François (Nanterre – 92)
"Sotto Voce"
Cécile Gaud (Marseille – 13)
"Le soupir du potier"
"La silhouette au parapluie"
Jeanne Gaudin (Paris – 75)
"Intime conviction"
"Nuit"
Laurence Georgen (Esch-sur-Alzette – Luxembourg)
"Canicule"
Roland Goeller (Bègles – 33)
"Autoportrait en enfer"
Anne Gouezin (Saint-Dier-D’Auvergne – 63)
"Le silence est d'argent"
Magali Jakob (Ottobrunn – Allemagne)
"Camille"
Gilles Le Montagner (Fouesnant – 29)
"Le poids d'une existence"
Léodie Mancini (Jongny – Suisse)
"Le vase"
Ariane Martenot (Saint Ouen – 93)
"Retour au pays"
Bernard Marsigny (Marcoux – 42)
"Dystopie"
Marie-Hélène Moreau (Paris – 75)
"Fatou"
Frédérique Noto (Montpellier – 34)
"Sous les pavés la plage"
Alain Parodi (Soyons – 07)
"The rain song"
Véronique Proux (Challans – 85)
"La cabane d'Eugène"
Annie Saulnier (Bezannes – 51)
"Gloussement sémantique"
Emmanuelle Stambach (Toulouse – 31)
"Bestialité"
Lucie Verdier (Belvèzes-du-Razès – 11)
"Mon meilleur ami"
Jean-François Vielle (Rennes – 35)

 

 

Palmarès 2020


Prix Gaston Welter :
« Le taulard qui ne voulait pas grandir »
Claude Mamier (Albi - 81)


1er Prix d’honneur :
« Noces de diamant »
Pierrette Tournier (Vizille - 38)


2ème Prix d’honneur :
« Coda »
Dorian Masson (Paris - 75)


Par ordre alphabétique :
13 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :

« Katia »
« L’Angélus »
Jean-Marie Cuvilliez (Saint-Amand-les-Eaux – 59)
« Belle cycliste, de Fernand Léger »
Marie Derley (Ath - Belgique)
« Ascension vers l’enfer »
Magali François (Saint Maximin – 83)
« Jade »
Eric Garmirian (Paris – 75)
« Pièce à conviction »
Roland Goeller (Bègles – 33)
« De mes yeux »
Aurélia Lesbros (Cabestany – 66)
« Le taulard qui ne voulait pas grandir »
Claude Mamier (Albi – 81)
« Coda »
Dorian Masson (Paris – 75)
« Hydrophile »
Antoine Reininger (Paris – 75)
« La maîtresse tricote »
Bénédicte Saouter-Tessier (Thoiry – 01)
« L’étranger dans ma maison »
Eric Scilien (Véretz – 37)
« Noces de diamant »
Pierrette Tournier (Vizille - 38)

38 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection sur 178 textes reçus :
« Constance »
Monique André (Bordeaux - 33)
« Quand on n’a que l’amour »
Anne Bailly (Hellemmes - 59)
« Ce n’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme »
Christophe Barreau (Les Sables d’Olonne – 85)
« Au vent »
Sylvie Breton (Brunoy - 91)
« Big Bang »
Eric Broggi (Cerisy-la-Forêt – 50)
« Katia »
« L’Angélus »
Jean-Marie Cuvilliez (Saint-Amand-les-Eaux – 59)
« Bouger, pas bouger »
Jean-Luc Depaifve (Caen - 14)
« Belle cycliste, de Fernand Léger »
Marie Derley (Ath - Belgique)
« Ascension vers l’enfer »
Magali François (Saint Maximin – 83)
« Jade »
Eric Garmirian (Paris – 75)
« Pièce à conviction »
Roland Goeller (Bègles – 33)
« Jeanne »
Hélène Hérengt (Lyon – 69)
« De l’intérieur »
Lazare Jolly (Saint-Denis - 93)
« Sur un fil »
« De mes yeux »
Aurélia Lesbros (Cabestany – 66)
« Le retour »
Dominique Levigny (Metz - 57)
« Les deux soeurs »
Stève Lucas (Melay – 52)
« Le taulard qui ne voulait pas grandir »
Claude Mamier (Albi – 81)
« Coda »
« La fin »
« Acéré »
Dorian Masson (Paris - 75)
« Du chagrin, les lavandières »
« L’Empirisme des chaussettes »
Nicolas Parisi (Toulouse - 31)
« Ca crève comme des papillons »
Maïlys Pelletier (Paris – 75)
« A l’écoute du dernier mélèze »
Marie-Christine Quentin (Alençon - 61)
« Hydrophile »
« Globule »
Antoine Reininger (Paris - 75)
« Comptine d’un autre hiver »
Charline Richer (Les Bois d’Anjou - 49)
« Ultime requête »
Jean-Marie Rousset (Bollène – 84)
« La maîtresse tricote »
Bénédicte Saouter-Tessier (Thoiry – 01)
« L’étranger dans ma maison »
« Covid-35 »
« Cette nuit, par solidarité je dormirai dehors »
Eric Scilien (Véretz - 37)
« Le dernier souffle de l’âme »
André Soleau (Baisieux – 59)
« Je pars avec ma peur »
Marie-Françoise Testa (Quincampoix - 76)
« Noces de diamant »
Pierrette Tournier (Vizille - 38)
« Jaloux »
Patrick Uguen (Houilles - 78)

 

Palmarès 2019


Prix Gaston Welter ex aequo :
"Rien que des arbres..."
Muriel Fèvre (Belfort - 90)
"Magic City"
Romane González (Auch - 32)


2ème Prix d’honneur :
"Bacha Basi"
Jean-Christophe Perriau (Athis-Mons - 91)


Par ordre alphabétique :
6 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :

"Une journée au bord de l’eau"
Fanny Bidegorry (Espoey - 64)
"Sécheresse"
Chantal Cacault (Rueil-Malmaison - 92)
"Rien que des arbres..."
Muriel Fèvre (Belfort - 90)
"Magic City"
Romane González (Auch - 32)
"Bacha Basi"
Jean-Christophe Perriau (Athis-Mons - 91)
"Tonton Bob"
Christian Sinniger (Ozoir-la-Ferrière - 77)


31 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
"Conflit de famille"
Christophe Barreau (Les Sables-d’Olonne - 85)
"La mémoire est un gâteau sec qui s’effrite"
Régine Bernot (Frouzins – 31)
"Une journée au bord de l’eau"
Fanny Bidegorry (Espoey - 64)
"Les Anges"
Alain Bourgasser (Pont-du-Casse - 47)
"Flash black"
Sylvie Breton (Brunoy - 91)
"Bien dans SA peau"
Jean-Yves Broudic (Paimpol - 22)
"Sécheresse"
Chantal Cacault (Rueil-Malmaison - 92)
"La dernière messe du Père Philippe"
Claude Carré (Douchy-Montcorbon - 45)
"Galayre, Galayre…"
Claudine Créac’h (Auxerre - 89)
"L’ami de laine"
Jean-Marie Cuvilliez (Saint-Amand-les-Eaux - 59)
"Rien que des arbres..."
Muriel Fèvre (Belfort - 90)
"Ne serait-ce qu’un regard…"
Guénaëlle Gallego (Libourne - 33)
"Star"
"Magic City"
Romane González (Auch - 32)
"Exil"
Nadine Guichard (Uriménil - 88)
"Rose rouge sang"
Marielou Jaouen (Le Cendre - 63)
"Histoire (trop) courte"
Anne Karen (Paris - 75)
"La maison verte"
Tristan Lesage (Courbevoie - 92)
"Rêve, Errance"
Pierre Malaval (Annecy - 74)
"Speranza"
Mireille Masciulli (Marly - 57)
"Pila"
Jean-Louis Maury (Monplaisant - 24)
"Le bout du monde"
Julius Nicoladec (Prémery - 58)
"Appellations d’origines contrôlées"
Jean-Marie Palach (Saint-Maur - 94)
"Bacha Basi"
Jean-Christophe Perriau (Athis-Mons - 91)
"Fleurs de givre"
Léa Royer (Rennes - 35)
"Tonton Bob"
Christian Sinniger (Ozoir-la-Ferrière - 77)
"Le désert noir"
Gaëlle Thirion (Saint-Maximin - 38)
"Grains de sable"
Marie Tinet (Faverges - 74)
"Bonbecs"
Eddie Verrier (Saint-Saulve - 59)
"Le boche"
Jean-François Vielle (Rennes - 35)
"Tout doit disparaître"
Tanguy Wassong (Brumath - 67)

Palmarès 2018


Prix Gaston Welter :
"La trace"
Alexandra Estiot (Paris - 75)


1er Prix d’honneur :
"Assiette anglaise"
Roland Goeller (Bègles - 33)


2ème Prix d’honneur :
"La Mongole fière ou la métamorphose matinale d’un macho
photographe"
Pierre Boxberger (Viré - 71)


Prix coup de coeur du jury :
"Française"
Muriel Fèvre (Belfort - 90)


9 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
"La Mongole fière ou la métamorphose matinale d’un macho photographe"
Pierre Boxberger (Viré - 71)
"Réparer"
Claude Carré (Douchy-Montcorbon - 45)
"L’envol"
François Duvernois (Villeurbanne - 69)
"La trace"
Alexandra Estiot (Paris - 75)
"La chaise du coiffeur"
Cyril Gilbert (Paris - 75)
"Assiette anglaise"
"La femme à la cigarette"
Roland Goeller (Bègles - 33)
"Noucha"
Christian Thery (Levallois-Perret - 92)
"Petite mort"
Ludmila Safyane (Villeurbanne - 69)

32 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
"Vente par correspondance"
Jean-Pierre Blanpain (Bourg-de-Péage - 26)
"Refroidissement climatique"
Antoine Bouvier (Versailles - 78)
"La Mongole fière ou la métamorphose matinale d’un macho photographe"
Pierre Boxberger (Viré - 71)
"Le garçon qui marche"
Marie Cahen (Strasbourg - 67)
"La petite sourit"
Michel Caïetti (Valensole - 04)
"Réparer"
Claude Carré (Douchy-Montcorbon - 45)
"La libellule déprimée"
Florent Cerou (Moulins-lès-Metz - 57)
"Le malentendu"
Sabine Desarnaud (Lacanau - 33)
"Chagrin chocolaté"
Sabine Dormond (Montreux - Suisse)
"L’envol"
François Duvernois (Villeurbanne - 69)
"Expat"
"La trace"
Alexandra Estiot (Paris - 75)
"Frère Philippe-Marie des hirondelles"
Martine Férachou (Saint-Junien - 87)
"Française"
Muriel Fèvre (Belfort - 90)
"Le carreau cassé"
"Le grand départ"
Marie-Anne Francois (Carhaix-Plouguer - 29)
"L’élégie de Fauré"
Claudia Friedrich (La Wantzenau - 67)
"La chaise du coiffeur"
Cyril Gilbert (Paris - 75)
"Assiette anglaise"
"La femme à la cigarette"
Roland Goeller (Bègles - 33)
"Fatale"
Marion Gonzalez (Auch - 32)
"Le sac du Touquet"
Michel Goudet (L’Haÿ-les-Roses - 94)
"Accords perdus"
Marie Lorioux (Poitiers - 86)
"L’attente"
Pierre Malaval (Annecy - 74)
"L’espoir du crocodile"
Claude Mamier (Albi - 81)
"Il"
Patrick Medaer (Evere - Belgique)
"Petite mort"
Ludmila Safyane (Villeurbanne - 69)
"Noucha"
Christian Thery (Levallois-Perret - 92)
"Rendez-vous"
Annick Tischler (Eckbolsheim - 67)
"Vingt ans avant"
Patrick Uguen (Houilles - 78)
"Le suivant sur la liste"
Jean-François Vielle (Rennes - 35)
"Dans son bocal"
Nadège Wlodarski (Paris - 75)

Palmarès 2017


Prix Gaston Welter :
"Fallen Angels (les anges déchus)"
Jean-Louis Maury (Monplaisant - 24)


1er Prix d’honneur :
"Les cris de chaton de Lise"
Mathilde Lavergne (Pau - 64)


2ème Prix d’honneur :
"Comme avant"
Jean-François Jeanne (Triel-sur-Seine - 78)


7 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
"Mat"
Renaud Corbin (Messei - 61)
"Sursaut collectif"
Agathe Hitchon (Nantes - 44)
"Comme avant"
Jean-François Jeanne (Triel-sur-Seine - 78)
"Les cris de chaton de Lise"
Mathilde Lavergne (Pau - 64)
"Fallen Angels (les anges déchus)"
Jean-Louis Maury (Monplaisant - 24)
"Le jardin d’enfants"
Patrick Morel (Orival - 76)
"Sans profession"
Gautier Savard (Metz - 57)


44 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
"Olya"
Gwendoline Allamand (Feigères - 74)
"Saisons"
Véronique Amans (Surgères - 17)
"Premier appel"
"Meurtrissure"
"La fin des saisons"
Marie Berthelier (Toulouse - 31)
"Les remparts"
Claude Carré (Champigny - 89)
"Le couloir"
"L’arme à l’oeil"
Florent Cerou (Metz - 57)
"Mat"
Renaud Corbin (Messei - 61)
"Le ru"
Christelle Courau-Poignant (Epaux-Bézu - 02)
"Une fille à marier"
Thierry Covolo (Lyon - 69)
"Vacarme"
Jean-Marie Cuvilliez (Etais-la-Sauvin - 89)
"Le choc"
Olivier Delau (Capdenac - 46)
"Des éclats de couleurs"
Marie-Lou Dulac (Paris - 75)
"Feu rouge"
Alexandra Estiot (Paris - 75)
"Croquemitaine"
Martine Ferachou (Saint-Junien - 87)
"Fran"
Jean-Marie Fessler (Brumath - 67)
"Regards interdits "
Magali François (Saint-Maximin-la-Sainte-Baume - 83)
"Le pendentif"
"Statistiques"
"Les puces de St-Michel"
Roland Goeller (Bègles - 33)
"Sursaut collectif"
Agathe Hitchon (Nantes - 44)
"Un accident"
Solange Jarry (Périgny-sur-Yerres - 94)
"Comme avant"
Jean-François Jeanne (Triel-sur-Seine - 78)
"Une ombre dans le noir"
Michèle Labbre (Léognan - 33)
"Rideau !"
Sylvie Lavarte (Liesse-Notre-Dame - 02)
"Les cris de chaton de Lise"
Mathilde Lavergne (Pau - 64)
"La statuette aztèque"
Michelle Maire (Marange-Silvange - 57)
"Mademoiselle Valentine"
Bernard Marsigny (Marcoux - 42)
"Fallen Angels (les anges déchus)"
Jean-Louis Maury (Monplaisant - 24)
"Le jardin d’enfants"
Patrick Morel (Orival - 76)
"Ave Maria"
Jean-Marie Palach (Saint-Maur - 94)
"Darjeeling"
Fabien Philippe (Montréal - Québec)
"Naufrage"
"La petite voix"
Marie-Christine Quentin (Alençon - 61)
"Boum"
Chantal Rey (Montauban - 82)
"Hauteur de vue"
Claire Rieussec (Toulouse - 31)
"Lucien"
Jean-Marc Santini (Marseille - 13)
"Sans profession"
Gautier Savard (Metz - 57)
"Parkinson café"
Catherine Schmoor (Lyon -69)
"L’échappée belle"
Christiane Sibieude (Strasbourg - 67)
"Abandonnée"
Jean-Claude Thibaud (Dublin - Irlande)
"Des crocs à la rhubarbe"
Corinne Valton (Colombier - 03)
"Promenade de santé"
Naïm Zriouel (Vitrolles -13)

 

Palmarès 2016


Prix Gaston Welter :
« Des vies mal pliées »
Claude Mamier (Albi - 81)


1er Prix d’honneur :
« Les pommiers »
Muriel Fèvre (Belfort - 90)


2ème Prix d’honneur :
« La grande régalade »
Camille Lysière (Espoey - 64)


5 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
« Les pommiers »
Muriel Fèvre (Belfort - 90)
« La grande régalade »
Camille Lysière (Espoey - 64)
« Des vies mal pliées »
Claude Mamier (Albi - 81)
« Des morts si naturelles »
Bernard Marsigny (Marcoux - 42)
« L’oeil dans les yeux »
Jean-Pol Rocquet (Sainte-Marie-la-Mer- 66)


24 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
«Autoportraits en garçon fou»
Gérard Ambroise (Paris -75)
«Laisser filer la vie»
Vincent Culambourg (Villers-Saint- Paul - 60)
«Février était là»
Michel Darche (Chevannes - 89)
«Absence»
Sophie Etienbled (Bois-Guillaume -76)
«Les pommiers»
Muriel Fèvre (Belfort - 90)
«L’homme au bâton de rêve»
Mireille Florentin (Castelnau-le-Lez - 34)
«Alice»
«Cerise sur le gâteau»
Roland Goeller (Bègles - 87)
«Le jean»
Marion Haas (Cobonne -26)
«Le roi René»
Mireille Lafitte (Sarpourenx - 64)
«La grande régalade»
Camille Lysière (Espoey - 64)
«Des vies mal pliées»
«Le survivant»
Claude Mamier (Albi - 81)
«La petite lueur»
Laurence Marconi (Bussy-Saint- Georges -77)
«Des morts si naturelles»
Bernard Marsigny (Marcoux - 42)
«Vu d’en bas»
Isabelle Mercat-Maheu (Ermont - 95)
«La graffeuse du crochet»
André Morel (Jonquerettes - 84)
«La connexion»
Bruno Morelli (Paris- 75)
«Petit bijou»
Jean-Marie Palach (Saint Maur - 94)
«Clochette»
«L’oeil dans les yeux»
Jean-Pol Rocquet (Sainte-Marie-la-Mer- 66)
«La main coupée»
Isabelle Verneuil (Bosmie-l’Aiguille - 33)
«Fenêtres sur rues»
Eddie Verrier (Saint-Saulve - 59)
«Un gars pas net»
Jean-François Vielle (Rennes -35)

 

Palmarès 2015

Prix Gaston Welter ex aequo :
« La chambre de Jeannette »
Sophie David (Thorigny sur Marne - 77)

« Ainsi passent les jours (Asi pasan los dias) »
Louis Mau (Monplaisant - 24)

2ème Prix d’honneur :
« Poison volant »
Bernard Jacquot (Blagnac - 31)

9 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
« Tout ira bien »
Sarah Berty (Rebecq - Belgique)
« Roule, roule »
Jean-Marie Cuvilliez (Cravant - 89)
« La chambre de Jeannette »
Sophie David (Thorigny sur Marne - 77)
« Poison volant »
Bernard Jacquot (Blagnac - 31)
« Ainsi passent les jours (Asi pasan los dias) »
Louis Mau (Monplaisant - 24)
« Sans jeter un cri »
André Morel (Jonquerettes - 84)
« Tombent les âmes »
Jean-Marie Palach (Saint-Maur - 94)
« La princesse et le pirate »
Emmanuelle Stambach (Laroque-Timbaut - 47)
« Petite grosse »
Eddie Verrier (Saint-Saulve - 59)

27 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
« Ascenseur »
« Vernissage »
Laurence Allemanni (Paris - 75)
« La lettre »
Jeanine Basquin-Milli (Allenwiller - 67)
« Tout ira bien »
Sarah Berty (Rebecq - Belgique)
« Taxi »
Gaëtan Brixtel (Saint-Lô - 50)
« Chasseurs d’orages »
Emmanuelle Cart-Tanneur (Saint-Genis-Laval - 69)

« Tout fout le camp »
Vincent Culambourg (Villers Saint Paul - 60)
« Roule, roule »
Jean-Marie Cuvilliez (Cravant - 89)
« Contre vents et marées »
Joëlle Cuvilliez (Montreuil - 93)
« Un parfum de fougère sèche »
Michel Darche (Chevannes - 89)
« La chambre de Jeannette »
Sophie David (Thorigny sur Marne - 77)
« Un vaccin contre le destin »
Clément Dutroncy (Lyon - 69)
« Les quatre arbres »
Joëlle Ginoux-Duvivier (L’Isle-Adam - 95)
« Poison volant »
Bernard Jacquot (Blagnac - 31)
« La source du diable »
Baptiste Ledan (Paris - 75)
« A Londres, des jeunes filles en pleurs… »
Gérard Lossel (Nantes - 44)
« Ida »
Céline Mafille (Marange-Silvange - 57)
« Ainsi passent les jours (Asi pasan los dias) »
Louis Mau (Monplaisant - 24)
« Sans jeter un cri »
André Morel (Jonquerettes - 84)
« Tombent les âmes »
Jean-Marie Palach (Saint-Maur - 94)
« La crise »
Anne-Marie Puyhardy (Metz - 57)
« L’effet miroir »
Marie-Christine Quentin (Alençon - 61)
« Dans l’ascenseur »
Nirina Ralaivao (Nîmes - 30)
« Le lapin »
Benjamin Redon (Paris - 75)
« Vent de panique sur Ysignac »
Jean-Pierre Sombrun (Périgueux - 24)
« La princesse et le pirate »
Emmanuelle Stambach (Laroque-Timbaut - 47)
« Petite grosse »
Eddie Verrier (Saint-Saulve - 59)

Palmarès 2014

Prix Gaston Welter : « Fleurs en scène » Laurence Marconi (Bussy-Saint-Georges - 77)

1er Prix d’honneur : « Épiphanies en juin » Michel Cernay (Nice - 06)

2ème Prix d’honneur : «Revenir» Christine Borie (Brive-la-Gaillarde - 19)

9 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection : « Revenir » Christine Borie (Brive-la-Gaillarde - 19) « Épiphanies en juin » Michel Cernay (Nice - 06) « Le chagrin d’Elsa » Martine Ferachou (Saint-Junien - 87) « Une place dans le monde » Michèle Gerber (Malakoff - 92) « La bleue » Joël Hamm (Simandre - 71) « Fleurs en scène » Laurence Marconi (Bussy-Saint-Georges - 77) « Un mois de retard » Jean-Marie Palach (Saint Maur - 94) « Confession d’un traître » Jean-Christophe Perriau (Athis-Mons - 91) « Plan B » Béatrice Willaume-Couturier (Gérardmer - 88)

24 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection : « La descente » Anne-Marie Arborio (Marseille - 13) « Le mandat » Arno et Jad (Saint Denis La Réunion - 97) « Un seizième, ce n’est rien ! » Pierre Aubry (Paris - 75) « Une rencontre inoubliable » Marjorie Berti (Briey - 54) « Le marché des rêves » Frédérique Biasetti (Saint-Cannat - 13) « Revenir » Christine Borie (Brive-la-Gaillarde - 19) « Épiphanies en juin » Michel Cernay (Nice - 06) « Un sourire parfait » Sophie David (Thorigny sur Marne - 77) « Le chagrin d’Elsa » Martine Ferachou (Saint-Junien - 87) « Une place dans le monde » Michèle Gerber (Malakoff - 92) « Des bigoudis dans le steak haché » Eric Gohier (Frontignan - 34) « Le bleu de mai » Barbara Graziani (Marseille - 13) « La bleue » Joël Hamm (Simandre - 71) « En douceur » Laura Kuster (Certilleux - 88) « La course du 1er mai » Didier Large (Ornacieux - 38) « A la recherche du doudou perdu » « Fleurs en scène » Laurence Marconi (Bussy-Saint-Georges - 77) « Voix intérieures » Elisabeth Martinez-Bruncher (Sisteron - 04) « Le chauffeur et les valises » Frédéric Nivaggioli (Marseille- 13) « Un mois de retard » Jean-Marie Palach (Saint Maur - 94) « Confession d’un traître » Jean-Christophe Perriau (Athis-Mons - 91) « Six faces » Catherine Quilliet (Grenoble - 38) « Commencer la chasse » Corinne Valton (Colombier - 03) « Plan B » Béatrice Willaume-Couturier (Gérardmer - 88)

Palmarès 2013


Prix Gaston Welter :
« Tokyo »

Yann Sallet (Paris - 75)


1er Prix d’honneur :
« La force de ceux qui n’en ont plus »
Frédérique-Sophie Braize (Nîmes - 30)
2ème Prix d’honneur :
« Debout, au coin d’une rue, dans la banlieue de Kinshasa »
Luc Doin (Dunkerque - 59)

7 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
« La force de ceux qui n’en ont plus »
Frédérique-Sophie Braize (Nîmes - 30)
« Debout, au coin d’une rue, dans la banlieue de Kinshasa »
Luc Doin (Dunkerque - 59)
« La valse des étiquettes »
Laurence Marconi (Bussy-Saint-Georges - 77)
« C’était la guerre »
Jean-Marie Palach (Saint-Maur - 94)
« Rebecca »
« Tokyo »
Yann Sallet (Paris - 75)
« Le vieux »
Jean-Marie Thiébaut (Montpellier - 34)

20 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
« Miroirs de papier »
Françoise Bouchet (Saint-Georges- Buttavent - 53)
« La force de ceux qui n’en ont plus »
Frédérique-Sophie Braize (Nîmes - 30)
« Coins obscurs »
Joëlle Brochard (Montpellier - 34)
« Sortie »
Thierry-Daniel Coulon (Anthy-sur- Léman -74)
« La queue »
Jean-Marie Cuvilliez (Cravant - 89)
« Debout, au coin d’une rue, dans la banlieue de Kinshasa »
Luc Doin (Dunkerque - 59)
« Corde raide »
Sabine Dormond (Montreux - Suisse)
« En finir avec l’hiver »
Sylvie Dubin (Angers - 49)
« Concerto n°21 pour piano de Mozart »
Corinne Fourmy (Levallois - 92)
« Frivolités printanières »
Jean Gualbert (Auderghem - Belgique)
« Une petite visite »
« L’aveu »
Didier Large (Ornacieux - 38)
« La valse des étiquettes »
Laurence Marconi (Bussy-Saint-Georges - 77)
« C’était la guerre »
« Danse pour moi »
Jean-Marie Palach (Saint-Maur - 94)
« Tu m’as laissée tomber »
Marie-Christine Quentin (Alençon - 61)
« Rebecca »
« Tokyo »
Yann Sallet (Paris - 75)
« Le vieux »
Jean-Marie Thiébaut (Montpellier - 34)
« Les tableaux de Lenoir »
Christian Tritsch (Mulhouse - 68)

Les Prix Gaston Welter :

13 Mai 2014 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Lauréats

Prix Gaston Welter 2022 :
H2O


Je voulais prendre la pluie en photo.


Ni la capturer, ni l’immobiliser, ni la figer en une multitude de pixels hésitants.


La prendre en photo.


Saisir sa chute, les gouttes étirées par la gravité jusqu’à se disloquer en deux gouttes plus petites, et encore et encore jusqu’à ce qu’elles éclatent au sol. Saisir sa couleur, non pas du gris mais de l’irisé. Saisir le reflet déformé du monde à sa surface, sa réalité mouillée et presque poisseuse sur ma peau, sur
mon objectif.


Tout le monde croit que la pluie accompagne l’orage mais je suis certain, moi, qu’en réalité elle le fuit. Sinon, pourquoi se précipiter à bas des nuages ? Pourquoi quitter l’univers supra-cumulonimbutique où le soleil est le seul ciel ?

C’était cela, que je voulais prendre en photo.


La
Plu-

ii                  i                  i                   i                  i                    i                   i                   i                   i                  ii
               ii               ii                   ii                  ii                    ii                  ii                 ii                    ii
                i               i                    i                   i                     i                   i                  i                     i            i
                                                                                              -e.
                                                                              La pluie de ses yeux.

J’ai commencé par briser mon appareil photo. Il me semblait beau que tout cela débute par une sorte de fin ; en tout cas quelque chose qui puisse y ressembler. Je ne voulais pas céder à la facilité du numérique. J’ai préféré le difficile grain du vieil argentique, celui qui ne se déclenche pas toujours, qui rechigne à saisir les couleurs. Je ne me laissais qu’une chance. Entre la pluie et moi avait toujours existé un lien particulier, une sorte de respect mêlé d’émotion. Pour cette raison, je ne pouvais faire autrement que de me compliquer la tâche.


Ma photo serait la seule de la pellicule ou ne serait pas.


                                                                                                                                                                     IMG_238
                                    

                                                                                    Nuit tombante. Le reflet d’un petit garçon dans une flaque.

Quiconque veut prendre en photo la pluie vous le dira : on ne se lève pas un matin en espérant avoir terminé le soir. Il faut remonter les états de la matière. La goutte d’eau est un achèvement : ce n’est pas un absolu.


J’ai d’abord été photographe arctique. Le froid mordant, la croûte de glace qu’il faut briser sur l’objectif, le souffle qui gèle en sortant du nez. L’eau dure.

J’ai ensuite été photographe volcanique. Les geysers percutants, les scories qu’il faut balayer de son visage, la chaleur qui consume les chaussures. L’eau légère.


Je serai enfin photographe aquatique. L’humidité volante, les gouttes qu’il faut retirer du mécanisme, le vent qui balaye le tout. L’eau souple.

Bientôt, je prendrai la pluie en photo.

                                                                                                                                                                     IMG_954

                                             Matin hésitant. Une voiture longue et sombre, aux vitres teintées, que regarde

                                                    un jeune homme. Un coffre trop grand, un air trop triste.


Connie m’aurait accompagné. Elle aussi aimait la pluie. On s’était rencontré au cimetière, à l’enterrement de ma mère. Elle était à quelques tombes sur la gauche, à l’enterrement de son père. Je me rappelle du bruit des pelletées de terre qui alternaient, mère puis père puis mère puis père. Quand ça s’est terminé, la pluie a pris le relais. On s’est croisé entre
Ci-gît                                                                    et                                                                                 Laura Azilé
Victor Bleu                                                                                                                                        1 9 8 7 - 2 0 1 2
1965-2010                                                                                                                         (elle n’avait pas de ci-gît)
 

Toutes les années qui ont suivi, on a fêté notre rencontre entre ces deux tombes. Il avait toujours plu, des grosses gouttes bien franches qui ruinaient notre pique-nique mais nous faisaient rire comme jamais, avec ma mère et son père qui surveillaient tout ça de loin comme des chaperons très discrets.

La dernière année, il ne pleuvait pas. Ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Dix-sept semaines plus tard, Connie partait au bras d’un petit con trop ensoleillé. J’ai dû expliquer ça aux gens du cimetière, surtout Victor et Laura. Ils ne comprenaient pas, et moi non plus.


J’ai beaucoup pleuré.
                                                                                                                                                                   IMG_1651
                                                                      

                                                                                Mardi de juillet. Une page de journal, bulletin météo, page 16
                                                                                                                                                       (à côté du sport).

J’ai cessé de prendre des photos. Ce n’est pas moi qui le voulait mais le monde tout entier, semblait-il. Il y avait toujours trop ou pas assez de soleil. Tout était fade, décevant. Je n’aurais pas réussi à prendre en photo un mur. Le cadrage tanguait comme un marin ivre, les couleurs s’épuisaient avant même d’apparaître et moi-même je n’y croyais plus. Le journal qui m’employait ne m’a pas viré, non. On m’a proposé la météo, mais il pleuvait dans tous mes bulletins alors on m’a mis aux archives. J’ai emporté mes gros nuages de tristesse au sous-sol.


Chez moi, presque rien n’avait changé. Connie avait emporté le chat mais pas son panier : on y voyait encore la forme de son corps. J’avais rallumé la chambre noire et les pinces à linge ne servaient plus que pour le linge. C’était rien et c’était tout.


                                                                                                                                                                   IMG_1652

                                                                                      Soleil absolu. Un couple rit devant une mairie, entouré de
                                                                                                                                                     gens bien habillés.

J’ai voyagé aux pays des grandes moussons pour qu’elles m’emportent l’âme. J’y ai vu des pluies comme il n’en existe nulle part ailleurs, des rivières entières tombant du ciel. Il ne m’en reste que des souvenirs, gravés dans mon cerveau comme sur un disque. Des fragments de carte aussi, où parmi les courbes de niveau et les noms de village on peut retracer mon chemin. Des photos, des pellicules, aucune. Je n’aurais pas pu. Quand je voyais des choses belles, je fermai les yeux comme un obturateur, un instant. L’image ne restait pas mais la pluie de mon esprit se calmait.

Un soir, j’ai vu un coucher de soleil si rouge que mon sang aurait paru blanc à côté. J’ai compris qu’il fallait que je rentre. Dans l’avion, je me suis dit On n’a pas vécu tant que l’on n’a pas pleuré devant un crépuscule. Avec 17 heures de retard, à 10 000 mètres du sol, en pleine nuit, j’ai sangloté doucement. Chaque larme était une Connie qui n’était pas avec moi. J’ai cessé de les compter après la neuvième.

                                                                                                                                                                   IMG_1787
                                                                                

                                                                                  Ciel couvert, quelques lambeaux de ciel. Un homme referme
                                                                                                                                                              un parapluie.

J’ai adopté un nouveau chat, un très vieux et très ingrat, peut-être un peu bipolaire. Au refuge, il m’avait griffé la main et s’était tassé au fond de sa cage. Je ne voulais pas un chat qui me déteste et il ne voulait pas un humain qui l’aime. J’allais repartir quand il a commencé à pleuvoir. Au bruit des gouttes sur les fenêtres, il s’est endormi. Je suis reparti avec lui, une peluche de baleine à demi-déchirée et assez de croquettes pour tenir un siège. Je ne sais pas s’il m’aime mais quand il pleut, il sort sur la terrasse, s’assoit et regarde les nuages se vider. Ça nous a fait un point commun.

Je pense toujours à Connie, sans doute un peu trop. Je l’ai revue il y a quelques temps, sur le trottoir de l’autre côté. J’ai compris à quel point elle était loin quand elle m’a fait un signe de la main.


C’est pour ça que j’ai voulu prendre la pluie en photo.


                                                                                                                                                                  IMG_1968
                                            

                                                         Coeur de nuit. Une voiture au pare-choc déformé, en travers de la chaussée
                                                                                                                                                                    glissante.

Brutal, inattendu. Sourd. La violence triste de la réalité.


J’ai perdu le contrôle. Une ombre a surgi devant mes yeux alors j’ai freiné. Le reste, c’est l’averse qui l’a fait.


Ce n’était pas prémédité. Je veux rentrer chez moi, mon chat m’attend, qui va lui ouvrir pour qu’il regarde l’eau tomber ?


Je n’aurais pas pu le reconnaître de toute façon. Je ne l’ai vu qu’une fois et j’ai tout fait pour oublier son visage depuis. C’était un hasard, Connie, un malheureux hasard. Je te le jure.


Que j’ai mon appareil dans la poche était une coïncidence aussi. J’ai fait ta photo, mon sublime cliché mais je le regrette maintenant. Je n’aurais pas voulu que ça se passe comme ça. Sur quelques fragments d’argent, au creux de ma pellicule, j’ai imprimé la pluie de tes yeux, quand tu es arrivée et que tu n’as
pas compris.


Ton soleil gît en caniveau derrière mais on ne le voit pas. Il n’y a que l’orage qui te brouille les sens, qui se mêle à tes larmes. Une seconde avant que tu ne me regardes, que tu me reconnaisses, que le camion rouge et jaune n’arrive. Je voulais t’offrir la pluie, pas la nuit.


On est deux, on s’étreint, on pleut de partout mais surtout des yeux.


                                                                                    ***


Dans la voiture, les policiers ont mis la radio. C’est l’heure du bulletin météo, celui de l’aube, des routiers, des mélancoliques et des insomniaques. La pluie va continuer quelques jours encore. On évoque l’accalmie à venir, loin mais déjà perceptible. Je pense à Connie et aux nuages. À mon chat, qu’elle a promis de laisser sortir. À la virga, aussi, cette pluie qui se dissipe sans toucher le sol. Au temps qu’il fera quand je te reverrai.


Sur la vitre, les gouttes d’eau font la course.


                                                                                                     IMG_1969 – Je voulais prendre la pluie en photo.

                                                                                 Noir et confus. Le cliché est sombre, abîmé, médiocre. On n’y
                                                            distingue pas même un vague flou artistique. Dans un coin, peut-être, une
                                                                                                                                                 silhouette de femme.

Florentin Grévy
 

Prix Gaston Welter 2019 ex aequo :


Rien que des arbres...
Ouvrir la culasse. Insérer le chargeur. Fermer. Tirer, tirer… tirer cinq fois. Ouvrir la culasse. Ejecter le chargeur. Insérer le nouveau. Recommencer. Garder l’oeil ouvert. Acéré. Malgré la sueur qui coule dedans, qui pique, qui fait pleurer…

Ouvrir-insérer-fermer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-ouvrir-éjecter-fermer-tirer…


Fourmis dans l’épaule. Des rouges qui grouillent par milliers, qui mordent, déchirent. Et leur venin, leur venin brûlant, mélangé à son sang, il bouillonne son sang là-dedans, il est en train de tout cuire, il va finir par monter, monter jusqu’à la tête, son cerveau il va le changer en oeuf mollet et alors, alors, là-haut, là-haut, tout sera figé, comme de la sauce quand elle est restée trop longtemps au froid et il pourra plus penser, non, non, plus du tout penser. Il entendra juste des bruits mouillés, des bruits de succion de bottes qui s’enfoncent dans une
terre détrempée et ça le remplira tout entier.


Et puis, il y a aussi ses mains. Crispées sur le fusil. Dures, froides, on dirait des cailles congelées. A chaque mouvement de ses doigts, ça craque, ça résiste, il a l’impression qu’ils vont se casser bien net à chaque phalange, ses doigts, et ensuite, tomber sur le sol en pluie d’osselets, tinter contre les cartouches vides
amoncelées à ses pieds et ça ferait des petits sons secs, mats, comme des fourire de squelettes hystériques…


Ouvrir-insérer-fermer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-ouvrir-éjecter-fermer-tirer…

Il fait ça depuis l’aube. Il a vu le ciel s’allumer, passer du noir au rose. Il a vu le soleil sortir de son antre pareil à une gigantesque araignée et tisser sa toile de feu pour bouffer les nuages, les dernières étoiles et il avait trouvé ça beau ; ça lui avait mis le coeur en fleur avec le nectar, le pollen et tout… Il avait pensé à sa mère, sans doute déjà debout dans sa ferme délabrée loin très loin d’ici, il s’était dit que peut-être, elle voyait la même chose que lui, parce que, sûrement que le ciel, le soleil, ils sont partout pareils, où qu’on soit, tous les gens qui s’aiment, de les regarder, ça les relient…
Maintenant, le ciel, le soleil, il ne les voit plus. Il est enfermé dans un tunnel de fonte étroit qui pue la merde et la rouille et au bout, à la sortie, tout ce qu’il y a, c’est le canon de son fusil crachant ses crottes de plomb.


Ouvrir-insérer-fermer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-ouvrir-éjecter-fermer-tirer…


Le lieutenant, il lui avait dit, avant de commencer : « C’est des arbres, rien que des arbres. Un entraînement au tir de précision. » et ça, il se le répète en boucle dans sa tête –des arbres rien que des arbres-, il fait tourbillonner les mots comme une eau de vaisselle en train de s’écouler dans une bonde d’évier, il en a presque la nausée. Il s’entraîne, sur des arbres, il s’entraîne à tirer au fusil.


Il les voit tout flou. Des reflets brouillés dans l’eau, des flammes ternes qui oscillent dans un brouillard cendreux, à cause du vent qui lui râpe les yeux. Le vent, il lui fait couler des larmes comme des grumeaux, quand elles sortent, elles lui déchirent le coin de l’oeil, et puis, avec sa sueur, elles lui poissent les prunelles, elles font comme une pellicule translucide qui le brûle et l’empêche de bien voir sa cible. Mais bon, ça change pas grand chose, parce que c’est des arbres, rien que des arbres… Même s’il perçoit brouillon, il met dans le mille à chaque fois, trop facile, parce que, les arbres, ils ne bougent pas, ils sont juste un peu tremblants-gémissants, sûrement à cause du vent, sec, âpre, brûlant, qui fouette, secoue, écorche, arrache. Oui, c’est ça, ils tremblent, gémissent à
cause du vent…


Ouvrir-insérer-fermer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-ouvrir-éjecter-fermer-tirer…


Lui aussi, il arrête pas de sursauter. De trembler. Comme une carpe en train de crever.


A cause du bruit des tirs. Les siens. Ceux de ses compagnons. Une cacophonie d’explosions, une pluie violente de coups de poings sur sa tête qui l’étourdissent, font chanceler ses méninges.
Et puis, il y a aussi, l’odeur âcre de la poudre, les fusils qui crachent sans arrêt leurs hérissons de feu, laissant des taches rouges sur les yeux… Il brûle, il étouffe.
C’est tout comme à la vraie guerre. Mais sans combat…


Marre ! Marre ! Marre d’être là ! Honte ! Honte de faire ce qu’il fait ! Une honte
sang de truie coagulé qui l’encroûte de la tête aux pieds, qui le cuit comme un
pâté.

Lui, c’était pas ça, pas ça qu’il attendait !

Lui, il voulait être au front, massacrer des Russes rougeauds, creuser dans leurs lignes des tranchées aussi larges et profondes que des ravins.
Il voulait être un héros, le héros de son pays, le héros de sa mère et de ses petites soeurs Anya, Julia et Gerda, être plus fort, plus grand que le père, revenu manchot de la grande guerre.


Une horreur, le père, un déchet répugnant qui fout rien ! Toujours le souffle poussif, l’oeil effaré. Toujours avachi sur une chaise, grelottant, collé à la cheminée jour et nuit, à observer les flammes, à boire son schnaps, à gratter
furieusement l’absence de son bras droit.
Pouah, le père ! Ça aurait été mieux qu’il y crève, dans ces tranchées de là-bas…

Maintenant c’est à lui, Dieter, l’unique homme de la famille, c’est à lui de lui faire honneur, de la rendre à nouveau digne d’être allemande. Et là, avec ce qu’il est en train de faire, il peut pas. C’est comme s’il était en train de la rouler encore et encore dans la bouse…
Il se sent pire que le père affalé sur sa chaise en grosse merde molle, en train de téter sa gnole !
Marre ! Marre ! Honte d’être là ! Partir…


Ouvrir-insérer-fermer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-ouvrir-éjecter-fermer-tirer…


Il avait gueulé fort fort ! Quand le capitaine dans son bureau, il avait dit qu’il fallait qu’il s’entraîne encore, que, pour le front, il était pas prêt. Il avait hurlé, tapé des poings et des pieds, chialé comme un putain de gniard. Lui, il s’était donné, donné à fond, il avait subi sans moufter brimades, coups, humiliations, il avait rampé dans la boue, bouffé de la racine, s’était déchiré la peau aux crocs des barbelés, avait plongé dans des eaux glaciales. Tout ça, tout ça pour rien ! Et puis, il avait pensé à sa mère, ses soeurs, qui l’avaient laissé partir avec les
yeux rouges, mouillés mais qui étaient fiers, brillants comme des soleils ; à la fille des Bayer, gros nibards, larges hanches, qui avait commencé à le reluquer quand elle avait su qu’il partait à la guerre…
Si elles savaient, toutes, si elles savaient ce qu’il fait au lieu de se battre pour son pays, elles le jetteraient dans la fosse à purin !


Il a promis, à la mère, aux soeurs, il a promis de leur écrire, de leur raconter le front… Mais là, la guerre, en fait, il ne la fait pas, va falloir qu’il imagine, qu’il invente des exploits de tête brûlée, de trompe-la-mort. Il peut pas leur dire que c’est comme à la fête foraine, des tirs à la carabine, sauf que y a pas de lot. Juste un relent à la fois amer et acide qui lui monte au gosier à chaque fois qu’il fait feu. Il peut pas leur parler des cinq « pan ! », les cibles qui s’escamotent. La victoire. Sans risque, sans panache, sans gloire. Il peut pas leur parler du grand vide froid qui le remplit peu à peu.


Non, il peut pas…


Il a peur de ce soir, quand il aura fini. Seul avec sa feuille blanche, le crayon dans la main, la tête comme un baquet avec plein d’engrenages emmêlés qui moulinent un néant noir. Il a peur de ce soir, quand il faudra écrire et qu’il saura pas quoi dire…
Peut-être qu’il vaudrait mieux qu’il meure. Tout de suite. Maintenant.


Ouvrir-insérer-fermer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-ouvrir-éjecter-fermer-tirer…


Il a soif. Une soif d’homme perdu dans le désert. Sable dans la bouche qui lui ponce le palais, la langue, comme du papier de verre.

Le lieutenant, il l’a abreuvé d’eau-de-vie toute la nuit, il lui a fait téter pléthore de goulots, pour diluer sa colère, sa peine et en même temps, il lui a promisjuste l’affaire de deux ou trois jours, le temps de nettoyer la zone- il lui a promis qu’après, après, il l’emmènerait au combat pour de vrai.
La gnôle, elle a fait couler en lui des rivières de chaleur, elle l’a ouvert en grand, de partout, il s’est senti comme un drap sale et fripé qu’on aurait déployé à la fenêtre, au soleil, avec un vent léger. Et il a trouvé ça bon. Incroyable comme c’était bon !
Mais maintenant, c’est fini. A vidé les deux flasques que le lieutenant lui avait laissées. En cas de coup de mou. Des coups de mou, il en a eu beaucoup… Maintenant, il se sent rétréci, ratatiné. En accordéon. Comme s’il était tombé d’un arbre la tête la première et qu’il s’était tout tassé d’un coup. Putain ! Il a soif ! Putain ce qu’il a soif ! Il pourrait s’enfiler tout un tonneau.


Ouvrir-insérer-fermer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-ouvrir-éjecter-fermer-tirer…


Quand ils sont allés dans les bois, au bord du ravin, pour la mission, il a pas vu tout de suite, non non, il a pas vu tout de suite ce que c’était, la mission. Trop beurré. C’est quand il a vraiment été près, tout près qu’il a compris et alors, il est tombé à genoux, bras ballants, la bouche béante à chercher l’air, parce que,
dans ses poumons, soudain, y en avait plus du tout.


C’est pour ça que le lieutenant, il l’a fait boire à nouveau. Un long, très long gorgeon. Qu’il lui a glissé deux flasques dans les poches de sa vareuse. Et puis, qu’il a pas arrêté de lui répéter à l’oreille –c’est des arbres, rien que des arbres, fiston ! Rien que des arbres… - jusqu’à ce qu’il aille mieux et la voix, les mots du lieutenant, c’était une mélopée, une berceuse de contrebasse douce comme un sirop, peu à peu, c’est rentré bien profond dans son cerveau, en même temps que la gnôle, ça lui a retapissé l’intérieur de la tête ambiance forêt profonde.
Douce et feutrée.


Après, le lieutenant, il l’a plus revu. Il sait pas où il est, ce qu’il fout. Il faudrait qu’il revienne, absolument, il faudrait qu’il revienne ! Sur le champ. Parce que, lui, Dieter, il a complètement dessoulé et il va plus bien du tout ; la tapisserie dans sa tête, elle se décolle, elle s’en va par lambeaux et derrière, y a des bouches pâles qui grimacent et des yeux effarés et ça lui colle un vrai blizzard dans le corps, ça fait descendre son thermomètre très en dessous de zéro. Et il a beau continuer de se répéter –c’est des arbres, rien que des arbres- pour faire
tenir, pour rapiécer, sans la gnôle, ça fait de moins en moins effet… Faut qu’il revienne, le lieutenant, faut qu’il revienne dare-dare pour l’abreuver, sinon, il tiendra pas le coup.


Ouvrir-insérer-fermer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-ouvrir-éjecter-fermer-tirer…
Ouvrir-insérer-fermer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-ouvrir-éjecter-fermer-tirer…
Ouvrir-insérer-fermer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-tirer-ouvrir-éjecter-fermer-tirer…
Froid, soif, mal… envie de crever…

                                                                  *
Le soleil est passé derrière lui. Le vent est tombé. Le ciel a pris une vilaine teinte rouge violacée. On dirait la tronche du père étalée sous son nez. Sa main droite est en sang à force de tirer et puis, c’est sûr, bientôt, son bras droit va tomber, encore quelques fils à casser et il va dégringoler.


Et il les voit, à présent, oui, oui, il les voit. Toute la tapisserie dans son cerveau s’est décollée-déchirée. Bien nets, tout éclaboussés du soleil couchant. Des hommes, des femmes, des enfants… il n’est pas soldat mais bourreau, tueur d’innocents.


Là, y en a cinq devant lui. La mère, le fils aîné, les trois gamines, pas encore sorties de l’enfance. C’est sa famille à lui qu’il a dans le viseur. Sauf qu’ils ont les cheveux, les yeux noirs, un teint livide qui tire presque sur le gris.
Mais sinon, c’est pareil, tout pareil… Il a envie que son bras droit se détache maintenant pour plus avoir à tirer… Il a envie de hurler. De faire un trou dans le ciel avec sa voix. Que tout y soit aspiré. Il a envie de bouffer son fusil. De le mâcher longtemps-longtemps entre ses dents, jusqu’à le transformer en farine
couleur moisi.


Il peut pas, il peut plus faire ça. Faut balancer le fusil, tout son barda. Pour s’alléger. Et puis, se barrer en courant, partir dans la forêt, s’éloigner de cet endroit…


Il baisse son fusil, lentement. Commence à se retourner.


Mais soudain, il pense à la promesse du lieutenant –dans deux trois jours, le front, le vrai combat-la possibilité de montrer qu’il est fort, courageux, digne d’être allemand. Il pense au déshonneur, aux visages de sa mère, ses
soeurs, quand on leur annoncera que c’est un traître, un déserteur. Il pense aux regards haineux qu’on leur jettera quand elles iront au village, aux murmures malveillants sur leur passage : famille de dégénérés. Pas fréquentable. Père poivrot notoire, fils couard. Il pense à la misère, au dénuement dans lesquels il va les plonger.


Alors, il se fige. Il doit le faire, il le doit. Pour sa famille.


Il prend une longue inspiration, relève son fusil.


Ouvrir-insérer-fermer…


Met le doigt sur la gâchette. Ferme les yeux. Pour pas les regarder.


Et puis, il tire. Cinq fois…


Muriel Fèvre

Prix Gaston Welter 2019 ex aequo :


Magic City


A Little Haïti, on a encore trouvé le corps d’un gamin, dans une poubelle. C’est une fille, treize ans environ. Tuée par arme blanche. Marc Bennett a trouvé le corps. Depuis, il en parle à tous les gens qu’il croise. La poubelle est dans une rue, derrière le magasin d’électro-ménager où il travaille. Marc dit qu’il n’a pas vu le corps, il a senti l’odeur, c’est tout. Il dit que cette odeur le hante maintenant. Une semaine que le corps était là. Il a pas voulu ouvrir la benne, à quoi bon, rien qu’à l’odeur, il savait. Il a appelé les flics. Ils ont emporté la poubelle.


- Je vais tout foutre à la poubelle, a dit Susan à Frank, son ex-mari.


Elle a pris les boucles d’oreille et la bague qu’il venait de lui offrir – cent mille dollars à vue d’oeil, ce salaud croit vraiment pouvoir l’acheter ? Et il croit qu’elle vaut si peu ? – et elle a ouvert la petite poubelle sous l’évier et de sa longue main aux doigts manucurés a fait glisser les bijoux du plan de travail à la poubelle. Frank n’a rien dit. Susan le déteste et voudrait qu’il soit mort. C’est lui qui l’a quittée pour cette petite salope de vingt-deux ans, Laura. Laura aux jambes fermes et bronzées, au cul ferme, aux seins fermes. Susan regarde son reflet dans le miroir suspendu au mur du salon. Grâce au Botox, elle paraît trente-cinq ans. Elle ne pourra jamais en paraître vingt-deux. JAMAIS. Tout à coup, elle se hait. Elle a envie de se griffer le visage, avec ses ongles, de s’arracher la peau par lambeaux. Elle est vieille, elle est moche, comment est-ce qu’on peut supporter ça ?


Elle ouvre la porte-fenêtre, sort sur le balcon. De l’air, elle a besoin d’air. Elle s’appuie contre la balustrade, cherche à respirer par le ventre. Ses yeux errent sur la baie de Miami. En face, il y a des bulldozers, des grues partout. Ils sont en train de construire deux nouvelles résidences. Elle a peut-être besoin de changement, elle pourrait déménager… La veille, sur le toit de son immeuble, là où se trouve la piscine solarium, elle a rencontré un type. Un jeune milliardaire. Il a fait fortune en inventant un truc, elle ne sait plus quoi. Pourtant, sur le coup, ça lui a paru chouette. Ce type-là, oui, c’est quelqu’un de bien. Il l’a invitée à dîner, un soir. Elle a hésité. Elle va lui dire oui.

Frank dit qu’il l’aime, qu’il regrette. Il dit que Laura et lui ne s’entendent pas du tout. Susan est certaine que Laura a jeté Frank. Comment est-ce qu’on peut le supporter ? Comment est-ce qu’elle, a pu le supporter, pendant quinze ans ? Frank est gros. Il bande mou. Elle le fout dehors. Il ne cherche pas à récupérer les bijoux, en partant.


- J’ai tout mis au clou, elle dit. Tout ce qui avait un peu de valeur, mes bijoux…


Il la regarde et il ne sait pas quand est-ce qu’il va le lui dire. Il n’a pas envie de le lui dire alors il l’écoute parler. Peut-être, au moins, il peut faire ça : l’écouter. Elle est grande. Elle doit faire sa taille. Très maigre. Elle porte des lunettes, ça lui donne un air un peu sophistiqué. Ou celui d’une maîtresse d’école.


- Je pensais pouvoir trouver un autre boulot, elle dit, en faisant un geste de la main, la main d’abord levée puis qui s’abaisse, s’affaisse, et vient claquer contre sa cuisse.


Il regarde derrière elle. Crazy Jo vient de sortir de sa tente, il a avec lui son violon, enfin, plus exactement cette planche en bois fichée de cordes tendues qui ne le quitte jamais. Il joue un air, Jamal l’a déjà entendu des centaines de fois, c’est toujours le même. Crazy Jo sourit en même temps qu’il joue et on voit qu’il lui manque les deux dents de devant. La fille se retourne et le regarde. Crazy Jo passe devant eux en souriant. Il va rejoindre trois types qui sont assis sur des canapés un peu plus loin et qui ont l’air de ne rien faire.


- Des flics ont tiré sur mon mari, dit la fille. Parce qu’il était noir.


Jamal hoche la tête. Dans une autre vie, il était architecte. Il regarde ce qu’il a construit. Les tentes. Les campements de fortune. Les meubles récupérés un peu partout. Tout un bidonville qu’il a créé pour aider ceux qui peuvent pas se loger, dans la cité magique.


- Je suis désolé, il dit.


La fille le regarde, les yeux vides, elle ne comprend pas.


- Il n’y a plus de place, il dit. Je ne peux pas vous accueillir. Il n’y a plus de place.


La fille lève ses deux mains vers lui. Elle supplie. Il détourne le regard. Comme ça, il a déjà dû refuser soixante-dix-huit personnes. Au début, leurs visages le hantait. Maintenant il y en a trop, il ne se souvient plus.


- Où est-ce que je vais aller ?


Larry sait où aller. Il suit les instructions de l’appel radio. C’est à un embranchement, il s’y est déjà rendu plusieurs fois. C’est là qu’ont lieu presque toutes les fusillades, à Opa-Loka. Larry est fatigué. Le dernier appel, c’était une overdose. Une fille, jeune, allongée dans une voiture ouverte, la seringue encore dans le bras. Larry gare sa voiture de patrouille et attend que Carlos Herrera, son collègue, se soit garé aussi pour sortir. Il est une heure du matin. Larry a encore six heures de ronde avant de rentrer chez lui. Un groupe de gosses, dix, douze ans, pas plus, traînent dans la rue. Larry leur rue dans les brancards.


- Foutez le camp, les gosses.


Il a déjà vu ça, des passants qui se prennent des balles perdues, à cet endroit. Les gosses se dispersent.


Le type est là, à moitié allongé contre la porte d’une épicerie. L’épicier a baissé sa devanture en fer et à travers le grillage, il regarde dans la rue, en fumant une cigarette. Le type allongé se tient le ventre et du sang a taché ses mains. Les secours sont en route. Larry connaît ce type. Il deale de la drogue dans le quartier. Jeune, pas plus de vingt ans. Les gosses reviennent, comme des mouches à merde.


- Dégagez de là, dit Herrera en touchant son arme de service.


Il les chasse de la main, les gosses rigolent, s’en vont un peu plus loin et reviennent, comme s’il s’agissait d’un jeu.


Larry s’accroupit devant le type. Les os de ses genoux craquent. Le visage du type est tout blanc, des gouttes de sueur tombent de son front et atterrissent sur ses mains.


- Tu peux parler ? demande Larry.


Il est absolument impossible de parler avec cette musique. Tommy fait un signe à la fille et elle rigole, elle hoche énergiquement la tête. Tommy lui remplit une autre coupe de champagne. Il aime bien faire ça. Il a payé des types pour le faire, des serveurs en costume qui courent d’un invité à l’autre avec un plateau rempli de coupes de champagne, mais il aime bien le faire de temps en temps, ça plaît aux filles. Et il vient des Ozarks, putain. Dans une autre vie, avant de se mettre à la musculation, il était le Gros Tommy, et sa mère lui faisait bouffer
des trucs en boîte. Je suis Tommy Burbanks, il se dit. J’ai joué dans huit films, je suis la star montante, le jeune premier que tout le monde s’arrache. Je suis beau, je baise bien, je suis bankable.


La fille est une pseudo-starlette. Elle est jolie. Elle a un beau cul. Il lui fait un autre signe, index levé. Elle hoche la tête. Il la prend par la main, l’entraîne à l’étage. Dans sa chambre. Je suis Tommy Burbanks, il se dit en attrapant la fille par les cheveux. Il tire et elle a un petit mouvement de recul mais très vite, elle se laisse faire. Il la retourne, remonte sa jupe. Elle ne porte pas de sous vêtements, la salope. J’ai la plus belle maison de cette putain d’île privée, il se dit en retirant la ceinture de son pantalon. Ma maison est à côté de celle de Tony Montana, dans Scarface. Mon yacht est le plus gros de la baie. Il frappe le cul de la fille avec sa ceinture, côté boucle. Je suis Dieu. Je suis Dieu et je vous encule tous. Il pénètre la fille. Elle tourne son visage vers lui. Il la voit, juste une
fille au visage rouge, les yeux plein de larmes, de la morve au nez. Il la gifle etla pousse sur le lit.


La fille est partie. Elle a laissé des traces de sang partout dans les draps. Putain, il pense. Des draps à mille dollars.


Il y a encore de la musique en bas. La fête n’est pas finie, sans doute. Il a envie de descendre et de leur hurler de dégager, à tous. Il a un flingue dans le tiroir de la commode et encore une fois, il ressent cette envie, au creux de son ventre, prendre le flingue, le mettre dans sa bouche et appuyer sur la détente. De la cervelle sur les murs. Sa femme de ménage mexicaine trouverait le corps.

A Little Haïti, on a encore trouvé le corps d’un gamin, dans une poubelle.


Romane González

Prix Gaston Welter 2013 : Tokyo

— J’ai accepté une mission d’un an à Tokyo.
Le poids du silence ne se mesure pas en kilos ou en tonnes. Il se mesure en années, en mois, en jours. En heures à tuer en cherchant à savoir ce qu’on fait là. Qu’est ce que je peux répondre à ce tacle par derrière ? Je sors un carton rouge et je t’éjecte définitivement ou je reste fair-play, je me relève et je te serre la main. Sans rancune, bonne chance, surtout ne me donne pas de nouvelles. Sauf si elles sont mauvaises, très mauvaises. J’ai envie de crier que tu n’as qu’à aller te faire irradier à Fukushima, empoisonner par un fugu, enculer par un Sumo. Mais je laisse le silence tranquille, un silence épais qui se pose comme un moineau sur une branche en plein hiver, je le laisse prendre toute la place. Je sens les soixante-cinq pour cent d’eau dans mon corps se transformer en paillettes glacées. Je suis un moineau gelé sur une branche, il va se péter la gueule et exploser comme une boule de Noël sur le macadam givré. Je me tourne vers le mur. Non. Je suis un moineau bodybuildé, un Rambo djihadiste bardé de TNT qui va te péter ta gueule. Je suis supercatho qui part en croisade contre le mariage gay, je suis la haine.
— Ça va ? Tu ne dis rien. Tu as l’air maussade.
Maussade ? Moi ? Et pourquoi donc ? Parce que tu m’abandonnes au moment où j’allais te demander de faire un enfant. Parce que je pensais que tu étais une femme capable de me dire : on m’a proposé une mission d’un an à Tokyo, mais j’ai refusé parce que tu comptes plus que tout pour moi. Une de mes ex, qui n’a pas eu besoin de partir à dix milles kilomètres pour me quitter, m’a dit un jour que je tombais dans tous les pièges. Je crois que c’est pire aujourd’hui. Ce piège-là, je me le suis fabriqué.
Maussade ! Tartine-moi sur du papier toilette micro-embossé et tire la chasse en te curant le nez. Fais-ça ou des trucs encore bien pires, mais n’emploie pas des mots aussi ordinaires quand tu détruis un homme prêt à passer ses jours, ses nuits, et même des soirées devant « The Voice », avec toi.
Maussade, non. Je suis le Mossad et je vais t’infiltrer, je vais pénétrer toutes tes défenses, te liquéfier, transformer ton utérus en serpillère pour qu’il essore mon parquet, emprisonner tes pulsions dans un bocal stérile et je les siroterai avec une paille fluo en feuilletant l’album photo de nos vacances au Turkménistan. Je vais faire de toi les plumes de l’oiseau que je vais devenir et je les arracherai une par une avant de rôtir à la broche. Tu es ma broche, ce bijou raffiné que l’on porte sur son coeur et qui en dit long, on ne choisit pas une broche au hasard. Ma broche. Cette barre de fer pointue qu’on enfile par le cul pour ressortir par la bouche. Cet instrument de torture qu’utilisaient les colonnes infernales en faisant rôtir un bébé sous le regard brisé de sa mère. Ma mère n’est plus mais je sens son regard brisé sur moi, sur ce corps replié en position foetale, face au mur.

— Bon. Moi je vais préparer le petit-déjeuner en attendant que tu retrouves la parole.
Tu enfiles un peignoir qui épouse immédiatement tes rondeurs. Ce con me nargue. Il sait déjà qu’il sera du voyage, lui, et tu sors comme une impératrice coiffée des pétales qu’un vent sournois a arraché aux cerisiers en fleurs. Pourquoi je n’arrive pas à te détester définitivement ?
Mon soupir rampe le long des plaintes, traîne sur la bibliothèque, se perd entre les pages de mes auteurs préférés. Bret, Jay, Tony, Dan, John, Charles, Raymond*. Au secours !
« Quel est le pire truc que tu aies jamais fait ?... Suis les rails de poudre, de l’autre côté du miroir, cherche en vain quelque imaginaire point de convergence auquel te renverraient tous les obscurs indices que tu n’as pas su déchiffrer… Même maquillée dans son tailleur elle reste une pute shootée à la Méthadone… Prends une cuite durant dix jours. Deux semaines. La durée dépend de la quantité d’alcool que tu peux absorber. Quand tes chevilles et tes pieds restent engourdis toute la journée, il est temps de réduire la dose… Trouve-toi un chien stupide ou demande à la poussière… Quand je suis revenu à moi j’étais dans le salon de mon appartement, à cracher sur le tapis et éteindre des cigarettes contre mes poignets en rigolant… Prends les vitamines du bonheur. » Calmez-vous les gars, c’est tellement facile de la ramener, serrés les uns contre les autres, calés sur une planche de chêne massif entre un Bouddha nacré et un hippopotame en onyx.
Après tout, et même après ce que tu viens de m’asséner, je n’ai aucun droit de me plaindre. Je savais à quoi m’en tenir quand je t’ai rencontrée. Avant qu’on baise tu m’avais annoncé la couleur et ce n’était pas du bleu layette. Tu m’avais raconté ta vie de bourlingueuse internationale. Ta profession m’avait fasciné. Je dois avouer qu’à ce moment-la j’étais plus séduit par ta personnalité que par ton physique. Je t’ai écoutée en boucle jusqu’à ce qu’on se retrouve dans ma voiture et, qu’après avoir jeté ta cigarette par la fenêtre entrouverte, tu me dises tringle-moi doucement s’il te plaît et tu avais enjambé l’accoudoir en relevant ta jupe pour venir t’asseoir sur moi. Tes fesses roulaient au dessus de mes cuisses, tu tenais ta culotte dans ta main droite, de ta main gauche tu cramponnais le volant en poussant des cris rauques. Quand tu as souri au regard en biais de notre voisin de parking qui sanglait son bébé sur le siège arrière de son Scenic bleu marine, j’ai compris qu’il n’était pas possible qu’on en reste là.
— Une fois n’est pas coutume.
Et tu poses un plateau contenant tous les ingrédients d’un petit-déjeuner en amoureux sur la couette rouge et noire. J’aurais dû me douter que ces couleurs n’auguraient rien de bon quand on a acheté cette couette ensemble. C’est pas rien d’acheter une couette à deux, c’est pas le genre d’achat qui se fait spontanément en passant devant une vitrine. C’est pas une bouteille de vin ou un bouquet de roses. Merde. C’est quelque chose qu’on est censé partager

pour un bon bout de temps. On a fait des tas de trucs sous cette couette et tu m’annonces sans la moindre émotion dans la voix que je ne vais plus la partager qu’avec mon attente de te revoir un jour et mon angoisse que ce jour n’arrive jamais.
— Tu me remercieras dès que tu auras retrouvé la parole.
Ta phrase s’enlise dans la confiture d’une énorme tartine que tu déchires à pleines dents. J’aime tes dents. J’ai toujours trouvé qu’elles méritaient mieux que de rester planquées derrière tes lèvres. Que tu souries, que tu mordes ou que tu jouisses, j’aime tes dents un peu écartées, un peu trop grandes pour ta bouche. Ça me fera mal de les casser à coups de poings quand je n’aurai plus que cette solution pour te faire comprendre combien je tenais à toi, combien tu vas me manquer. Combien j’ai de doigts. Moi j’étais prêt à les couper un par un, un doigt pour chaque décennie passée avec toi et toi tu files comme un chien derrière une balle et tu m’obliges à te les coller dans les dents pour te prouver qu’ils t’appartiennent. J’ai toujours considéré la vie comme un acte mineur et c’est toi qui devais me prouver le contraire. Je réalise que je me suis trompé sur toute la ligne. Depuis huit mois on vivait chez moi, mais à ton rythme, finalement on n’aura jamais eu de chez nous et ton départ en trombe est le vrai début de notre histoire, sauf que je devrais la vivre seul. Jamais de la vie ! Je ne finirai pas comme une dose de lessive dans la machine à laver de nos souvenirs. Tu sais que je suis capable de faire des choses terribles comme m’étouffer avec cette deuxième tartine abandonnée sur ce plateau sans âme. Tu ne vas quand même pas m’obliger à te supplier. Si ? C’est ça ! Tu veux que je rampe, les yeux noyés et les mains crispées autour de tes chevilles. Bon sang tes chevilles, l’articulation de tous les désirs. Je ne pourrai plus y poser mes lèvres, juste au dessus de tes pieds, là où elles deviennent si fines qu’on pourrait les briser.
— Bon, je vais me faire une orange pressée. Tant pis pour toi.
C’est ma gorge que tu es en train de presser, très fort, jusqu’à ce qu’elle rejette toute la pulpe de notre amour mort-né. Tu pourras la boire en savourant un omiagé du bout des lèvres, sanglée dans ton iromuji, là-bas au pays du soleil levant. Ici il ne se lèvera plus. Ou plutôt si, il va continuer à se lever, à briller comme une ampoule fatiguée au dessus d’une table vide. Pendant que moi j’aboierai à la lune en plein jour, en plein coeur, en plein et en délié. Délié de toi. Pendant que je tournerai mal.
Maintenant je parle au couteau que tu as laissé sur le plateau au milieu de nos miettes, comme une issue de secours. Il ne répond rien, j’ai l’impression qu’il s’en fout. Sa lame létale, brillante, me défie. Elle exhibe des dents aussi tranchantes que ton sourire. Je m’empare du manche en poirier, il est doux et tient bien dans la main. Je suis un samouraï qui a échoué dans la quête de notre amour.
Tu ne m’auras pas laissé le choix. Assis en tailleur, la pointe s’enfonce dans mon bas-ventre, les dents ensanglantées mordent dans la chair, une coulée

brune et épaisse dégouline vers mes cuisses, et mon nombril déchiré s’ouvre comme un litchi. Une glaire presque noire jaillit de ma bouche et glisse le long de mon cou. Du sang coule de mes yeux. Tout mon corps tremble. Accrochées au manche gluant mes mains vrillées continuent de scier, évitent une côte flottante et guident le couteau vers mon sternum. De mes sphincters relâchés s’écoule un mélange visqueux de pisse et de merde qui macule la couette, recouvrant progressivement ce rouge et ce noir vraiment trop inquiétants. Pendant que mes viscères craquent et se déchirent sous les attaques de l’acier je ne vois que ton visage, de plus en plus flou, comme un ballon qui se dégonfle, puis tout devient gris.
Avant de perdre connaissance j’entends une voix lointaine, enjouée et taquine sortir de la cuisine :
— Tu sais, je déconnais pour Tokyo. Il suffit que tu me demandes en mariage et qu’on fasse un bébé et je refuse la mission.
Oups !
Je regarde le couteau qui n’a pas bougé du plateau.
— Tu vois, faut toujours que tu exagères tout.

* Bret Easton Ellis, Jay McInerney, Tony O’Neill, Dan et John Fante, Charles Bukowski, Raymond Carver

Yann Sallet

Cérémonie de lecture du Palmarès 2018

13 Mai 2019 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #accueil, #Palmarès, #Lauréats

Cérémonie de lecture du Palmarès 2018

Palmarès 2018


Prix Gaston Welter :
"La trace"
Alexandra Estiot (Paris - 75)


1er Prix d’honneur :
"Assiette anglaise"
Roland Goeller (Bègles - 33)


2ème Prix d’honneur :
"La Mongole fière ou la métamorphose matinale d’un macho photographe"
Pierre Boxberger (Viré - 71)


Prix coup de coeur du jury :
"Française"
Muriel Fèvre (Belfort - 90)

Palmarès 2016

17 Mai 2017 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Palmarès

Palmarès 2016

Prix Gaston Welter :
« Des vies mal pliées »
Claude Mamier (Albi - 81)

1er Prix d’honneur :
« Les pommiers »
Muriel Fèvre (Belfort - 90)


2ème Prix d’honneur :
« La grande régalade »
Camille Lysière (Espoey - 64)

 

5 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
« Les pommiers »
Muriel Fèvre (Belfort - 90)
« La grande régalade »
Camille Lysière (Espoey - 64)
« Des vies mal pliées »
Claude Mamier (Albi - 81)
« Des morts si naturelles »
Bernard Marsigny (Marcoux - 42)
« L’oeil dans les yeux »
Jean-Pol Rocquet (Sainte-Marie-la-Mer- 66)

24 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
«Autoportraits en garçon fou»
Gérard Ambroise (Paris -75)
«Laisser filer la vie»
Vincent Culambourg (Villers-Saint- Paul - 60)
«Février était là»
Michel Darche (Chevannes - 89)
«Absence»
Sophie Etienbled (Bois-Guillaume -76)
«Les pommiers»
Muriel Fèvre (Belfort - 90)
«L’homme au bâton de rêve»
Mireille Florentin (Castelnau-le-Lez - 34)


«Alice»
«Cerise sur le gâteau»
Roland Goeller (Bègles - 87)
«Le jean»
Marion Haas (Cobonne -26)
«Le roi René»
Mireille Lafitte (Sarpourenx - 64)
«La grande régalade»
Camille Lysière (Espoey - 64)
«Des vies mal pliées»
«Le survivant»
Claude Mamier (Albi - 81)
«La petite lueur»
Laurence Marconi (Bussy-Saint- Georges -77)
«Des morts si naturelles»
Bernard Marsigny (Marcoux - 42)
«Vu d’en bas»
Isabelle Mercat-Maheu (Ermont - 95)
«La graffeuse du crochet»
André Morel (Jonquerettes - 84)
«La connexion»
Bruno Morelli (Paris- 75)
«Petit bijou»
Jean-Marie Palach (Saint Maur - 94)
«Clochette»
«L’oeil dans les yeux»
Jean-Pol Rocquet (Sainte-Marie-la-Mer- 66)
«La main coupée»
Isabelle Verneuil (Bosmie-l’Aiguille - 33)
«Fenêtres sur rues»
Eddie Verrier (Saint-Saulve - 59)
«Un gars pas net»
Jean-François Vielle (Rennes -35)

Le palmarès 2021 enfin dévoilé

30 Mai 2022 , Rédigé par Prix de la Nouvelle Gaston Welter Publié dans #accueil

Samedi 28 mai 2022 a eu lieu la cérémonie de remise des prix du concours de la nouvelle Gaston Welter.

En voici le palmarès :

Prix Gaston Welter :

"Le poids d’une existence"
Léodie Mancini (Jongny – Suisse)


1er Prix d’honneur ex aequo :
"Dystopie"
Marie-Hélène Moreau (Paris – 75)


"Gloussement sémantique"
Emmanuelle Stambach (Toulouse – 31)

Envie de tenter votre chance ? Vous avez jusqu'au 29 juin 2024

3 Février 2021 , Rédigé par PC Publié dans #Règlement, #accueil

 

Voici le Règlement Général 2024

http://prix-gaston-welter.com

Envoi des textes : du lundi 4 mars au samedi 29 juin 2024


Lauréats prévenus pour le 2 décembre 2024



Le Prix de la nouvelle de la Ville de Talange est placé sous la responsabilité de la Municipalité et de l’Office Culturel Municipal. Un comité de lecture présidé par Madame Sylvie JUNG est chargé de l’organisation du Prix et de l’adoption du règlement qui suit :


1. Intitulé
Prix de la nouvelle "Gaston Welter" - Ville de Talange


2. Conditions d’inscription
• Le prix est ouvert à tous, sans distinction d’âge, de nationalité ou de résidence.
• Les membres du comité de lecture ne peuvent participer au prix.
• Les droits de participation sont de 8 euros pour la première oeuvre et de 3 euros pour les suivantes (chèque libellé à l’ordre de l’Office Culturel Municipal de Talange).
Les lauréats ne pourront concourir l’année suivant l’obtention de leur prix.


3. Présentation des textes
• Il s’agit, pour les candidats, de présenter, conformément au présent règlement, une nouvelle.
• Le nombre des envois n’est pas limité, le choix du sujet est libre.
• Chaque texte présenté sera rédigé en français, dactylographié, expédié en trois exemplaires. Il comprendra environ 40 lignes par page et ne devra pas excéder quatre pages, au total plus ou moins 1600 mots.
• Ni le nom, ni l’adresse de l’auteur ne devront être portés sur le ou les textes. Par contre, sur chaque feuille du texte, en haut à droite, l’auteur portera deux lettres et deux chiffres au choix (exemple : PA/46).
• Ces deux lettres et ces deux chiffres (la devise) seront reproduits sur une enveloppe fermée dans laquelle figureront le nom, l’adresse et le numéro de téléphone et/ou l’adresse mail de l’auteur ainsi que le titre du texte (ou les titres, une devise par titre).


4. Modalités d’envoi
L’envoi doit contenir :
• le texte en trois exemplaires
• une enveloppe portant la devise (autant de devises que de textes)
• le titre de paiement (à l’ordre de l’Office Culturel Municipal de Talange)
.../...
Les envois doivent être adressés à :


Madame la Présidente du Prix de la nouvelle "Gaston Welter"
Hôtel de Ville
Service culturel
BP 1
57525 TALANGE


5. Date limite d’envoi
Le concours est ouvert du lundi 4 mars 2024 et ce jusqu’au samedi 29 juin 2024 inclus.


6. Récompenses
Les textes récompensés sont imprimés sur un recueil.
1er Prix : 400 euros + 50 exemplaires de la brochure
2ème Prix : 250 euros + 25 exemplaires de la brochure
3ème Prix : 150 euros + 25 exemplaires de la brochure


7. Résultats et cérémonie de remise des prix
Les lauréats seront prévenus des résultats au plus tard le 2 décembre 2024.
Les auteurs seront conviés à assister à une rencontre autour de la nouvelle au cours de laquelle les trois lauréats seront honorés.


8. INTERNET
- Le règlement du concours, les résultats et les textes primés pourront être consultés sur :
Adresse Internet : www.talange.com
et : http://prix-gaston-welter.com
- Chaque participant s’engage à accorder aux organisateurs la liberté de diffuser son ou ses textes sur internet et dans le recueil des résultats.


9. Renseignements complémentaires
Contacter le Service Culturel de la Ville de Talange au :
03.87.70.87.83. ou à culturesports@mairie-talange.fr


DEFINITION DE LA NOUVELLE
Quelques essais de définition
La Nouvelle se distingue des autres genres littéraires par ses qualités spécifiques :
Le sujet est original.
Elle n’est pas un récit de longue haleine s’étendant sur une vie, sur une guerre, sur des années. L’action embrasse une période de temps relativement courte (une heure, une journée, une semaine...)
Elle n’est ni légende, ni conte.
Les personnages sont peu nombreux.
Le rythme du récit est rapide et ne s’embarrasse pas de longs développements psychologiques et philosophiques.
Elle est ce difficile art de la concision, de l’essentiel, cette tension de l’écriture jusqu'à la chute qui fait souvent d’une anecdote un destin.

 

 

Nous attendons avec impatience toutes vos nouvelles !

Le palmarès 2022 enfin dévoilé

20 Mai 2023 , Rédigé par Prix de la Nouvelle Gaston Welter Publié dans #Palmarès

Samedi 20 mai 2023 a eu lieu la cérémonie de remise des prix du concours de la nouvelle Gaston Welter 2022.

En voici le palmarès : 

Prix Gaston Welter :
"H 2O"
Florentin Grévy (Paris – 75)


1er Prix d’honneur :
« Fin de promenade »
Guy Bellinger (Montigny-lès-Metz – 57)


2ème Prix d’honneur :
« L’an 2000 »
Yvan Robberechts (L’Echelle-Saint-Aurin – 80)

Brochure 2018

11 Mai 2019 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Palmarès, #accueil, #Brochures, #Archives

La nouvelle affiche vient de paraître

10 Mars 2017 , Rédigé par Mairie de Talange

Affiche 2017

Affiche 2017

Jusqu'au 28 juin 2017, envoyez nous vos nouvelles. Pour les modalités voir le règlement

Les lauréats 2016

21 Février 2017 , Rédigé par Mairie de Talange

Cérémonie de remise des prix 2016 - samedi 13 mai 2017 à 18h au Théâtre Jacques Brel à Talange

Les trois lauréats du Prix de la Nouvelle Gaston Welter 2016 ont été prévenus.

 

Les lauréats 2015

Les lauréats 2015

Envie de tenter votre chance ? Vous avez jusqu'au 29 juin 2022

11 Mars 2022 , Rédigé par Prix de la Nouvelle Gaston Welter Publié dans #accueil

 Envie de tenter votre chance ? Vous avez jusqu'au 29 juin 2022

Voici le règlement 2022

Prix Gaston Welter 2016 : « Des vies mal pliées » de Claude Mamier

17 Mai 2017 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Texte lauréat, #Lauréats, #lauréats

      Tasnima décore la chambre d’hôtel avec des animaux. Un lapin jaune, un poussin bleu qui sort de son oeuf, une grenouille, des poissons. Le chat est un peu tordu. La grenouille  sauterait si le papier était plus épais. Ou alors elle s’est trompée dans les pliages.
      La chambre est plus petite que celle du mois dernier, mais plus grande que la toute première, il y a six mois : Tasnima a son propre lit de camp et n’est pas obligée de dormir avec sa soeur. Kheda s’agite dans son sommeil quand elle rêve de leur ferme près de Grozny.
En grande section de maternelle, on n’apprend pas encore à lire. La maîtresse a montré les pliages de la cocotte en papier, et distribué d’autres schémas à ceux qui voulaient continuer à la maison. Ça porte un nom, de fabriquer des choses avec du papier plié. Un nom japonais dont Tasnima n’arrive pas à se souvenir.
       Le renard, c’est dur. Le résultat paraît simple, sauf que certains plis
sont trop compliqués pour des mains d’enfant ; il faudrait celles de Maman ou de Kheda. Papa a de gros doigts et n’a pas toujours le temps de jouer, enfin c’est ce qu’il dit parce qu’il ne fait pas grand- chose de ses journées.
       Aujourd’hui, c’est mercredi. Tasnima est seule dans la chambre avec le renard qui refuse d’apparaître. Seule avec les animaux qui la regardent de leurs grands yeux noirs tracés au feutre. Ses parents n’aiment pas la laisser sans surveillance, mais la préfecture impose les jours de rendez-vous. Et Kheda doit y aller aussi parce que c’est elle qui parle bien français. Kheda est en cinquième. Elle a de bonnes notes. Elle lit des livres et chaque papier bizarre de la préfecture en fronçant les sourcils.
                    

                                                                         *


       Le renard résiste. Mieux vaut se remettre aux lapins. Maman adore les lapins. Elle en avait plein à la ferme. Tasnima est trop jeune pour se souvenir vraiment de Grozny ou de la Tchétchénie. Parfois, dans ses rêves, elle voit un cheval noir tourner en rond dans un enclos. Papa dit que ce n’est pas un rêve, que c’était son cheval à lui, là-bas. S’il le dit, ça doit être vrai. Tasnima a le schéma du cheval, mais pas de papier noir. Papa serait sans doute triste si le cheval n’était pas noir.
       Ça fait longtemps qu’ils sont tous partis à la préfecture. Le service des étrangers ferme à onze heures et demi et il est déjà plus de midi. Peut-être que la machine leur a donné un mauvais numéro. Peut-être qu’ils n’ont pas pu passer et qu’il faudra y retourner demain.
        Peut-être aussi qu’on les a capturés.
       C’est compliqué, la préfecture. Un peu comme le renard. Il faut aller y chercher les papiers spéciaux, ceux qui permettent de rester en France, mais tant qu’on ne les a pas, l’endroit est plein de méchants prêts à vous punir de ne pas les avoir. Prêts à vous arrêter. À vous mettre dans un avion et à vous renvoyer là d’où vous venez, sans vous demander votre avis.
       Une fois, Tasnima a dit à Kheda que ce serait rigolo : prendre l’avion, se promener, et revenir. Kheda a répondu que ça ne marcherait pas, parce qu’en Tchétchénie, il y avait des gens fâchés contre Papa, des gens qui lui feraient beaucoup de mal s’ils le retrouvaient. Ce jour-là, Tasnima a compris que les Papas pouvaient avoir peur.

                                                                        *


      Le temps passe. Tasnima fait des fleurs pour Maman. Les fleurs, c’est long à colorier, alors ça aide à attendre. Il ne faut déborder ni sur le coeur ni sur la tige quand on s’occupe des pétales. Il faut se concentrer. Et quand on est concentré, on ne regarde pas sa montre.
      Les services sociaux les changent d’hôtel régulièrement, trop vite pour changer aussi d’école. Alors parfois c’est près, et parfois ça dure une heure avec plusieurs bus. Donc Maman perd quatre heures, deux le matin et deux l’après-midi.
      Ce serait plus simple qu’on leur donne une maison au lieu de les déplacer d’hôtel en hôtel. Enfin, c’est ce que pense Tasnima. Elle n’a pas compris grand-chose quand Papa a tenté de lui expliquer son erreur. D’ailleurs, elle n’est pas convaincue que Papa en sache vraiment plus qu’elle. Les adultes détestent admettre qu’ils ne savent pas tout.
       Tasnima lève les yeux vers les murs de la chambre. Vers les animaux accrochés avec du scotch, jamais avec des punaises qui abîmeraient la peinture blanche. C’est la forêt. Une forêt discrète, silencieuse.
      Pourtant, elle a parfois l’impression de l’entendre. Des chants d’oiseaux. Le miaulement d’un chat. Le craquement des feuilles mortes sous une patte. Ça l’aide à s’endormir.
      Mieux vaut ne pas en parler puisque personne d’autre n’y prête attention. À moins qu’ils n’osent pas en parler non plus.
       À chaque déménagement, Tasnima monte sur les épaules de Papa, décroche les animaux et les range à plat dans une boîte à chaussures. Après, dans la chambre suivante, elle reprend certains plis pour donner à nouveau du relief. Ça fatigue le papier. Comme si les animaux vieillissaient. Quand un lapin n’arrive plus à se mettre en relief, c’est qu’il est mort.

                                                                        *


       Les fleurs en papier n’aiment pas la pluie. La rose s’est fanée quand Tasnima a pleuré dessus. Il est deux heures passé.
      Une famille tchétchène habitait près du premier hôtel, au coin de la rue. Une famille avec les papiers spéciaux. Les jours de préfecture, Maman
disait que si ça durait trop longtemps, Tasnima avait le droit d’aller se réfugier
chez eux. Parce qu’on ne mettait pas une famille dans l’avion s’il manquait un
enfant.
       Là, il n’y a plus personne chez qui se cacher. Si Papa, Maman et Kheda ont été arrêtés à la préfecture, Tasnima espère au contraire qu’on ne l’oubliera pas. Qu’on viendra la chercher. Elle ne veut pas rester seule en France. S’il faut rentrer en Tchétchénie, si les méchants retrouvent Papa, alors elle leur fera des animaux, et des fleurs, et tout le monde sera content, et tout ira bien.
      Tasnima se mouche à grand bruit. Une caresse lui effleure la main, mais quand elle rouvre les yeux, il n’y a personne à ses côtés. Elle compte à voix basse les animaux scotchés au mur, une fois, deux fois, trois fois. Aucun ne manque. Le renard frémit. La chambre est pleine de courants d’air.


                                                                      *


      La porte s’ouvre. Ce n’est pas un policier. C’est Maman.
      Tasnima se jette dans ses bras. Kheda est là aussi, elle explique qu’il y a eu un problème avec les bus et qu’il a fallu rentrer à pied. Papa ne dit rien. Il s’assied sur le lit, la tête dans les mains. Tasnima sait quand Papa est triste, même s’il ne pleure jamais. En général, la préfecture le rend triste.
       Tasnima va le voir. Elle lui écarte doucement les mains pour qu’il montre ses yeux. Il s’efforce de sourire. C’est un bon début.
      Papa prend la chemise cartonnée qu’il avait posée sur l’oreiller. Dedans, les papiers de la préfecture. Tasnima les reconnaît facilement : ils commencent toujours par le visage de la France, cette femme si pâle, vue de profil, avec son bonnet bizarre. Papa soulève les documents et sort des feuilles de couleur, des jaunes, des bleues, des vertes. Un cadeau. Pour s’excuser d’être revenu si tard.
      Tasnima saute de joie. Ce papier-là n’est pas seulement coloré, il est aussi plus rigide : la prochaine grenouille sautera très haut.
       La forêt sera plus belle. Tout ira bien.

                                                                 *


       Nouvel hôtel. Pas trop loin de l’école, quinze arrêts de bus. La maitresse a distribué un livret de schémas aux élèves désireux de poursuivre les pliages.
       La grue, c’est pas facile non plus. Les Japonais adorent cet oiseau ; ils ont même une légende qui dit que si on en façonne mille, on a droit à un voeu. Les mille grues alignées, ça porte un nom de là-bas, encore plus compliqué que le précédent. Impossible de s’en souvenir.
      Pas grave. L’important, c’est le voeu.
      Que Papa finisse par s’entendre avec la préfecture.
     Tasnima veut lui offrir la première grue, et la rendre très particulière. Alors elle s’entraine avec du papier ordinaire, plusieurs fois, histoire de bien prendre les mesures. Ces grues-là ne compteront pas dans les mille puisqu’elle les déplie afin de les poser sur la grande feuille d’où jaillira l’oiseau numéro un : les repères doivent être parfaits.
     Elle sait que les oiseaux souffrent. Qu’elle les tue à la naissance. La nuit, elle n’entend plus le bruit rassurant des animaux dans la forêt. Ça lui manque.
     Tant pis. Les repères doivent être parfaits.
     Tasnima passe à l’action lors d’une matinée solitaire. Elle se concentre, la langue pincée entre les dents, et certains gestes lui semblent soudain faciles à force de les avoir répétés pendant des heures. Peut-être les mille grues prendront-elles moins longtemps que prévu.
     Elle attend. Sa famille rentre à onze heures, dans la moyenne des visites à la préfecture. Tasnima montre la grue à Papa : elle a découpé la carte de l’Europe pour que les pliages amènent Paris sur une aile et Grozny sur l’autre.
     Kheda peste parce que c’était sa carte à elle. Maman leur tourne le
dos, elle fait de drôles de bruits, et Tasnima n’arrive pas à savoir si elle rigole
ou si elle pleure. Papa, lui, examine l’oiseau sous toutes les coutures avant de
perdre son regard au loin.
     Tasnima lui explique la légende en bafouillant. Il hoche la tête, puis pose la grue sur le lit, en douceur, comme un objet précieux. Il ouvre la chemise cartonnée et en sort les papiers avec le visage de la France en disant que Tasnima peut en faire des tas de grues, parce que cette fois c’est fini, c’est perdu.
     En découpant deux carrés par feuille, il doit y avoir de quoi en fabriquer une bonne centaine. Un immense vol d’oiseaux sur les quatre murs de la chambre.
    Maintenant c’est sûr, Maman pleure.

Prix Gaston Welter 2017 : Fallen Angels (les anges déchus)

12 Mai 2018 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Texte lauréat, #Lauréats, #lauréats

     Tout au bout de la table la télé crachote en 625 lignes. Noir et blanc, bien sûr. Le père se sert un verre de rouge pendant qu’un champignon atomique s’élève dans le ciel du désert algérien du côté de Reggane. Ça fait peur lâche le fils. Des militaires s’avancent vers le lieu de l’explosion. Le commentateur explique que notre pays entre dans la modernité. Le père vide son duralex, plie son couteau, il coupe la télé : «c’est l’progrès, y a rien à craindre». La mère
dessert la table «y’a ton cousin André qu’est là-bas, l’a d’la chance de voir du pays comme ça». La mémé porte les restes aux poules : «il rentre bientôt». Le père part traiter la vigne. Le fils empoigne son cartable, enfourche son vélo et zigzague vers l’école du village en chantant «c’est un fameux trois mats hisse et ho». Il adore ce jeune chanteur, Hugues Aufray. Le certificat d’études c’est la semaine prochaine, et l’institutrice qui mène les dernières révisions confirme : c’est le progrès. Nous allons vers un monde où l’énergie sera gratuite ou presque. Rendez-vous compte, avec quelques kilos d’uranium on remplace des tonnes et des tonnes de charbon. Ça tombe bien, à Centralia, en Pennsylvanie, une mine de charbon est en train de brûler, les pompiers pensent régler ça en quelques semaines. Avec le nucléaire finito le charbon, l’homme sera bientôt libéré du travail. Nous allons vers une société des loisirs. C’est le début des années 60. Vous les enfants, vous le verrez le progrès. L’avenir s’annonce radi-
eux. Le plus dur, c’est le certificat d’études, c’est ça qui rend le père un peu inquiet.

     Tout au bout de la table la télé crachote. Le père repose son duralex sur la table. Il plie son couteau et le range dans sa poche. Il regarde les images de là-bas, en Bretagne. Un pétrolier qui a coulé. Mais comment est-ce possible mon dieu. Un bateau si moderne. Le Torrey Canyon. 280 mètres de long. Les anglais ont bombardé l’épave pour faire brûler le pétrole et puis ils ont balancé des tonnes de dispersant chimique... C’est pire que le mal dit le fils. Y’a rien à craindre répond le père, ils maîtrisent. C’est le progrès. Y’a ton cousin le André qu’est là-bas sur les plages avec le 117ème d’infanterie, y z’enlèvent le goudron. La mère fait la vaisselle : «toujours à se balader, celui-là». Le père éteint le poste : «bon c’est pas tout, faut que j’aille traiter le tabac». Le fils part réviser dans sa chambre avec Between the Buttons des Stones sur son Teppaz. C’est la fin des années 60. La première partie du bac c’est dans 3 mois. «Baisse TA musique» lui crie la mère. La mémé est aux poules, de toute façon elle est sourde.

     Tout au bout de la table la télé grésille. En noir et blanc on voit un présentateur qui parle des événements à Paris. Mais pas trop. Il y a 2 chaînes et c’est le ministre qui fait le J.T. Le fils coupe la télé et règle la radio sur les grandes ondes, accroche une station périphérique, Europe ou Luxembourg. Il y a de l’image dans le son. De la fumée, des CRS, des jeunes qui courent, qui lancent des pavés, des voitures qui brûlent, des grèves partout, De Gaulle, Pompidou, Cohn-Bendit, Les Pink Floyd. Il est 5h, Paris s’éveille de Dutronc est sorti il y a un mois. Le lycée est en grève, dit le fils, faut que j’y aille. Tu manges pas demande la mère en mettant la table. Mais déjà la mobylette bleue pétarade, croise le père sur son beau tracteur, ça effraye les poules de mémé. Le père, il a fini par l’acheter, le Massey-Ferguson, avec l’aide du Crédit-à-Bricoles. Maintenant il peut traiter en grand, pas comme avant avec son pulvérisateur sur le dos. Le progrès comme on dit à la coopé. Le père se sert un coup de rouge. Foutue année, il est piqué.

     Tout au bout de la table la télé ronronne. Elle reste longtemps allumée maintenant. On l’oublie parce qu’il n’y a plus grand monde pour discuter. Trois assiettes de tourin fument. C’est la soupe à l’ail du Périgord. Le père verse du rouge sur le reste de soupe au fond de l’assiette. Faire chabrol comme on dit ici. La mémé est de plus en plus sourde. Le fils n’est plus là. Il étudie à Paris. Le père regarde dans le vide, en direction du poste que son regard traverse.
On y parle d’un accident de prospection au Turkmenistan, à Darvaza. C’est rien, une poche éventrée qui pisse son gaz. Les ingénieurs y foutent le feu pour éviter tout problème toxique avec les émanations. Ca doit chauffer dit la mère, j’aimerais pas y être. Ça craint pas dit le père, dans quelques jours ils vont se geler comme avant, z’ont intérêt à remettre leurs parkas. Il porte le chabrol à ses lèvres, l’assiette est encore chaude. Il se sent un peu fatigué en ce moment. La mémé demande pourquoi le fils ne vient pas manger. Elle pose la question à chaque repas. Elle fait souvent ça depuis quelque temps. La mère répète en élevant la voix : il est à Paris pour être docteur. Ah bon dit la mémé, il veut être un docteur, mais qui c’est qui va reprendre la ferme, faut que j’aille aux poules. Assieds-toi dit la mère, on n’a pas fini de manger. J’ai plus faim dit le père qui met son couteau dans sa poche, faut que j’aille traiter. Sur l’écran il y a une forêt asiatique qui brûle et l’US Air Force qui pisse des produits pour éradiquer la végétation. Il se lève sans éteindre la télé. Derrière le tracteur, les mêmes
produits que dans les avions.

     Paris. Dans une petite piaule du côté du parc Montsouris le fils révise à fond. Il passe son certificat de compétence clinique pour valider son deuxième cycle de médecine. Six ans qu’il s’accroche. La voix de Tom Waits raclant Eggs and sausages à la radio prolonge l’ambiance du stage aux urgences. Il n’a pas la télé. La radio à Paris c’est FIP. Infos et super musique. Où voulez-vous écouter Tom ? Tiens les infos c’est Seveso. De la dioxine s’est répandue dans l’atmosphère de la plaine Lombarde. Hoffmann-Laroche n’a déclaré l’accident que 10 jours après. Ils devaient être occupés à préparer le petit gueuleton offert à la promo de médecine en ce début Juillet 1976 pour présenter les derniers médocs mis sur le marché. Des bienfaiteurs. En Périgord la mémé est morte aux poules. Le père a téléphoné au fils. Il soufflait au bout du fil. Le fils s’inquiète - c’est rien dit le père, le docteur me donne ce qu’il faut. Comme à la mémé, mais elle, elle prenait pas bien ses cachets. Fallait toujours vérifier. Elle oubliait tout. Sauf les poules. Elles étaient toutes là à caqueter comme des folles : c’est ça qui a alerté ta mère. Toutes ces poules autour de la mémé avec le panier de grains par terre. C’était son heure. Comme tout le monde. Mais avec tous ces médicaments qu’ils inventent j’ai plus peur d’être malade maintenant. Y soignent presque tout. C’est comme pour le maïs, y’a plus de maladie avec les nouveaux produits. Au fait André a quitté l’armée. Il est dans la sécurité à Paris, à la tour Montparnasse. Il en aura vu du pays celui-là. Tu descends nous voir pour l’enterrement, mardi? Ta mère a fait des confits. Elle dit que l’air parisien te réussit pas. Tu parles, avec toutes ces voitures. Elle t’embrasse. C’est ça papa, je vous embrasse aussi, à mardi.

     Rien a changé. A l’église le curé a raconté la vie de Marie. 86 ans. Comment elle a été courageuse, et patati, surtout à la guerre toute seule à élever ses enfants et le mari qui n’est jamais revenu, et patata, souvent à la messe, dévouée, et puis qui aidait au patronage, et poutoutou. Enfin une mémé d’enfer, mais le curé l’a pas dit ça. Après on s’est retrouvé à la ferme avec tout le village. On a beaucoup bu. Le vin n’était pas piqué cette année. Tout le monde est venu voir le fils. Tu parles, un médecin. Et pas encore marié. Qu’est-ce-que t’attends? T’as pas trouvé une fille à Paris? Tu parles, il doit en avoir plusieurs. Clins d’oeil. Encore un coup de rouge. Le père rit. Il souffle un peu. C’est la fin de l’après-midi. Tout le monde se sépare. Ça a été un bel enterrement. Mais faut rentrer, demain on traite le tabac, à chaque plan sa goutte de potion magique. Quant à la fin de l’été on rentre les pieds pour les suspendre dans les granges, tout le monde est couvert de plaques rouges. Sur les mains, sur les bras, sur le visage. Enfin un peu partout, mais y a rien à craindre, ça s’en va tout seul et le tabac n’a jamais été aussi beau. Au bout de la table la télé jette ses couleurs. Le père a acheté le poste avant la mort de la mémé. Au moins elle aura vu ça, la couleur. Ca change de voir en couleur Seveso. Toute cette végétation jaunie, cramée, là-bas en Italie, et tous ces animaux qui crèvent en couleurs par milliers. Ca peut pas arriver ici, dit le père, ici on contrôle, on craint rien. La mère sert le confit. Mange, ça te fera du bien, tu es bien pâle, c’est l’air de Paris. Le fils est engourdi devant les images. A la fac certains profs travaillent sur des affections qui sont de plus en plus courantes. La mère tend une boîte au père : «t’as encore oublié tes cachets». Le père en glisse une poignée dans sa gorge suivie d’une lampée de rouge : «ça y est, j’ai pris mon Medoc !».

     Dans le train de nuit qui remonte vers Paris, le fils feuillette un magazine. Tiens, il y a un article sur Centralia, en Pennsylvanie. Ça brûle toujours. C’est la deuxième génération de pompiers qui s’y colle et paraît qu’il y aura encore
du boulot pour la suivante. Faut pas s’affoler, tout est sous contrôle. Tchak-atchak-
a-tchak... somnolence dans ce train direct gare Montparnasse. Il est 5
heures, Paris s’éveille...

     Dix ans que la mémé est morte. Le cousin André est fatigué. C’est la mère qui a téléphoné. Le fils prend le train ce soir pour le Périgord. La SNCF annonce que le direct Paris/Agen, celui qui s’arrête à Siorrrac-en-Pérrrigord comme le chante le chef de gare va être supprimé. Place à la technologie. Au TGV. 250 km/h pendant 20 minutes puis un arrêt de 5h au milieu de nulle part bouclé dans l’air conditionné. Rêver avec le paysage qui défile dans un roulis caténéresque, tchak-a-tchak, visage giflé au vent à la fenêtre du couloir, e pericolo sporghesi , do not lean out the window, faut oublier. Le chef de gare, aussi, faudra l’oublier. Dans le train, le fils lit. A Darvaza, Turkmenistan, ça lui rappelle quelque chose d’il y a longtemps, à Darvaza donc, le cratère de gaz brûle depuis 20 ans. By night c’est spectaculaire, le site est dorénavant une destination touristique signalée dans les guides. Rien à craindre, les ingénieurs contrôlent. À Siorrrac-en-Pérrrigord, le cousin André attend devant la gare avec la vieille 4L. L’autoradio chante Marcia Baïla des Rita. Il a quitté la Tour Montparnasse. Fatigué. De retour au pays, il bricole un peu et s’occupe du jardin. Ah oui, maintenant c’est lui qui rentre les poules. Dans la voiture qui cahote, il parle par à-coups et respire fort. Ca siffle. Le fils connaît ça. Il en a quelques-uns, des André, dans son service. André pense que c’est parce qu’il a trop picolé et trop fumé. Surtout à l’armée. Tu sais, dans le désert, on avait les clopes à l’oeil et en Bretagne les binouzes à gogo... Quand j’ai quitté l’armée je me suis calmé. A la tour Montparnasse j’étais peinard. Je suis parti juste à temps, ça devenait bordélique avec tous ces travaux de déminage euh de démiantage euh enfin des travaux quoi. Le père a préparé un casse-croûte. Sur la toile cirée à carreaux vichy une tourte de pain, un jambon de vingt livres et une bouteille de rouge tout frais tiré de la cave. Les hommes se coupent de larges tranches de pain et des éclats de jambon. Le père lève son verre. On n’a plus le droit de tuer son cochon, mais je l’ai fait quand même... je les emmerde. Il allume la télé pour les infos. Là-bas en Ukraine il y a un problème dans une centrale nucléaire. Un nuage se balade à travers l’Europe., mais il n’a pas franchi la frontière, il avait pas ses papiers. Rien à craindre tousse le père,avec les moyens techniques qu’il y a là-bas, ça va vite être réglé. Ça va faire du boulot dit André, j’aurais dix ans de moins, j’irais. Même pas peur. La mère sert le tourin. Les hommes font chabrol. Il est fameux le vin cette année, les traitements de la coopérative, rien à dire, y sont vraiment efficaces. Il pleut. La "zarza ouelha", la "charge -brebis" comme disent les anciens. Le fils adore cette bruine. Il part faire un tour à la rivière. Il prescrira des médicaments à André demain, avant de repartir...

     Le fils arrive à la ferme aujourd’hui. André est mort. La picole, ont dit ses relations de bar. Le curé a fait son oraison, à lui, André, qui ne mettait jamais les pieds à l’église. Le curé a raconté sa vie. Il s’était baladé en chemise kaki vers le lieu de l’explosion dans le désert algérien en 61, avait ramassé le mazout sur les rochers bretons en 67, filtré l’air de la tour Montparnasse avec ses poumons puis était revenu à la ferme, inapte au boulot pour raisons médicales. Là il filait un coup de main au père. A deux c’était plus facile, avec tous ces produits, pour s’occuper du tabac, du maïs, des fraises... Le soir il jouait au tarot au café de la Mairie. Quand le curé passait, André, eucharistique, le saluait de son verre «buvez, ceci est mon sang». Mais ça, le curé l’a pas dit...

     Le père est souvent assis sur le banc devant la porte de la cuisine. Le soleil réchauffe les pierres. La télé est muette. La mère est debout sur le perron, un chiffon à la main. Elle a fait une tarte avec les pommes qu’elle conserve dans l’obscurité de la cave à côté du tonneau de rouge. Les émotions envahissent le fils. C’est le vin. Il a de la fleur et pétille un peu. Rien à voir avec ces crus offerts par les labos qui logent sa cave d’appartement pilotée digital. Une sensation de fraîcheur, un bonheur de fleurs cueillies pour maman en revenant de l’école, une course de vélo dans le soleil vers la rivière qui coule plus bas dans la plaine. Le fils trinque avec le père dans un verre à moutarde. Il ferme les yeux. Non, il n’échangerait pas ce verre contre tous les Haut Brion du monde. Le père repose son verre en tremblotant. Ca fait quelque temps que sa main s’agite. Soixante cinq ans c’est pas jeune. Soixante-cinq c’est pas vieux non plus dit le fils, je vais te prescrire des examens.

     Le père n’a pas fait d’examens. Pourquoi faire ? Des conneries tout ça. Toujours vécu à la campagne. Toujours travaillé en plein air. Que du bonheur. À ouvrir la terre, à passer les bons produits de la coopérative, à traiter les céréales, les fruits et les légumes pour qu’ils poussent bien, sans défauts. Courageux le père, le curé l’a dit à l’église : le père n’avait pas peur. Un travailleur de la terre. Toujours prêt à rendre service. A donner sa chemise. Même la télé, qu’il avait fini par donner à l’hospice. Il ne regardait même plus la météo. Tout ce ciel qui se détraque. Il avait gardé le carton de la télé. Il l’a posé sur le bureau de la mère supérieure : «si Dieu existe j’espère qu’il a une bonne excuse». Mais ça le curé l’a pas raconté.

     Aujourd’hui le fils est revenu à la ferme. Les terres ont été cédées à un céréalier, qui fait aussi du cochon. Beaucoup de cochons. D’abord on dit plus cochon. Ça c’était quand le père faisait son jambon. On dit porc. La mère a fait une tarte aux pommes. Il n’y a plus de piquette à la cave. Le fils vient de prendre sa retraite. Dame, soixante-cinq ans. Il y a une nouvelle télé dans la cuisine. Extra plate. Avec plein de chaines. Plein d’émissions. On y apprend que Fukushima c’est pas de bol. La faute à la météo détraquée dirait le père. Dans le golfe du Mexique le pétrole fait des vagues. On vient d’inscrire la maladie de Parkinson comme une maladie professionnelle chez les agriculteurs victimes des pesticides. Il y a une liste spécifique des maladies professionnelles pour les agriculteurs. A Darvaza, Turkménistan, ça brûle toujours. Il y a de belles images sur internet. Centralia en Pennsylvanie à disparue administrativement. Les experts pensent que le charbon va se consumer encore 250 ans. La question n’est plus de savoir si les eaux vont monter mais à quel rythme. Une expédition retour d’Arctique a observé l’apparition de la pluie depuis deux ans et les bébés pingouins, mouillés, meurent dès que ça gèle. Le président des Etats Unis refuse de participer à la lutte contre le réchauffement de la planète. Bob Dylan sort un nouvel album : Fallen Angels, les Anges Déchus. J’en parlerai au curé. La mère a fait du poulet. Pas comme avant. Juste des cuisses. A quatre-vingt-cinq ans, elle ne s’occupe plus des poulets. Et puis les restes il y en a plus assez. La barquette de cuisses de poulet vient du supermarché. Comme le vin. Pratique, le bouchon est en plastique. Comme la bouteille. Pour l’eau pareil. Non je vais plus la tirer au puits. La mairie nous a prévenus, elle n’est plus bonne. Rapport aux porcs. J’ai pas fait de frites, j’ai pris des chips. Le fils regarde la mère. Il sourit. Il fait beau dehors. Tout à l’heure il ira faire un tour de vélo au bord de la Dordogne. Les chips craquent sous ses dents. Même pas peur.


Jean-Louis Maury

En attendant l'affiche

20 Février 2017 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #accueil

En attendant l'affiche

A partir du 1er mars et jusqu'au 28 juin 2017, envoyez nous vos nouvelles. Pour les modalités voir le règlement

Prix Gaston Welter ex aequo :

10 Mai 2016 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Texte lauréat, #Lauréats

La chambre de Jeannette


C’est un lundi d’octobre, le ciel est gris comme le paradis, il pleut.
Mémé Jeannette regarde par la fenêtre la grisaille dans les arbres qui se déshabillent. Un petit vent soulève les feuilles jaunes, elles chutent en tourbillons tristes. Elles se bercent, avant, arrière, puis retombent dans un souffle d’oreiller. La nature est une grande couette de plumes, il sera bientôt temps d’y dormir.
Mémé Jeannette regarde par la fenêtre, les infirmiers fument des cigarettes en parlant de leurs histoires. Elle a encore toute sa tête, mais son oreille résiste, dure de la feuille, elle n’entend que des bribes.
Ça la rend un peu triste, mémé Jeannette, elle ne saurait pas très bien dire pourquoi. Elle aimerait entendre une fois une histoire en entier, tiens celle d’Yves avec la coiffeuse d’en face.
Yves, c’est lui qui s’occupe d’elle, qui la lave et qui la change. Pendant qu’il fait ça, parfois, elle pense qu’elle est la coiffeuse d’en face, ça lui fait des frissons et ça fait penser à autre chose. Mais la plupart du temps, elle se sent comme un haricot qu’on aurait oublié au frigo ou elle se sent rien, un grand rien qu’on aurait oublié entre quatre murs. L’autre jour, sous la douche, elle a uriné sur lui. Elle a baissé les yeux et s’est mise à pleurer doucement. Yves n’a rien dit, il a continué comme si de rien n’était. Quand la douche a été finie, les yeux d’Yves se sont attardés dans les siens, il y avait quelque chose de doux à l’intérieur.
Mémé Jeannette regarde par la fenêtre. Au-delà du parc, la petite ville de Merlimont. Des rues, du vent, la mer, du sable. Le nom des rues ici ne lui évoque rien, la mer, ça ne lui parle pas. C’est beau, c’est vaste, des cerfs-volants, un restaurant avec des baies vitrées qui donnent sur la mer, le paradis. Mais c’est le Nord, il fait froid, le vent souffle tout le temps, pas une minute de pause, il siffle aux oreilles et soulève les cheveux. Elle se souvient, avant d’être à la maison de retraite, les promenades interminables en fauteuil poussée par un quelqu’un, jamais le même. Des filles jeunes avec l’accent du Nord qui fument des cigarettes dès qu’elle sont dehors. La fumée portée par le vent qui vient se coller aux narines. Tout le temps de la promenade, elles sont au téléphone, elles parlent fort à leurs copines, c’est tranquille comme boulot, la vieille, elle peut pas parler, non, elle bouge pas non plus. Elle sent mauvais, c’est juste ça, mais quand on est dehors ça va. Un jour, l’une d’elle avait donné rendez-vous à un petit copain, serveur d’une brasserie en bord de mer. Attends-moi là, elle a dit au copain. Elle a posé mémé Jeannette dehors entre deux palmiers et l’a laissée face à la rue. Le vent soufflait dans son dos, ça a duré des heures. Mémé Jeannette a pensé à son enfance, les heures passées à dessiner sur un coin de table pendant que les parents jouaient aux cartes avec les amis. Ah t’étais là ma petite, on t’avait oubliée, tu es tellement discrète, il faut t’affirmer un peu sinon qu’est-ce que tu vas faire de ta vie.
Mémé Jeannette regarde par la fenêtre qu’est-ce qu’elle va faire de sa vie.
Parachutée ici. Pas d’enfants, son corps fripé comme une feuille d’automne, sans bouger va sans bouger.
Ses yeux qui pensent, sa parole qui ne vient plus.
Mémé Jeannette regarde par la fenêtre, dès fois, elle aimerait sentir la douceur des roses, l’amertume du lys. Il y a longtemps, elle était fleuriste. Elle avait un magasin sur un grand boulevard parisien. Un magasin qui marchait bien, qui s’était fait un nom, livraisons, commandes, réceptions, mariages, naissances. Tout son temps passé dans les pétales, les épines, les tiges, les feuilles, les couleurs et cette odeur d’humidité. Tout son temps, alors pas d’enfants. Toute seule maintenant mémé Jeannette à regarder la pluie. Jeannette n’aimait pas les mémés. Quand elles entraient dans le magasin, elle les trouvait trop vieilles trop lentes trop fripées, moi je ne serai jamais une mémé, je serai vaillante, je suis bien entourée. Bien entourée, mais les amis barrières sont morts les uns après les autres, les poteaux de la clôture sont tombés, ne reste qu’un immense champ vide.
Mémé Jeannette regarde par la fenêtre, ses yeux s’accrochent aux oiseaux, tiens un rayon de soleil. Ça arrive souvent ici, il pleut il fait beau il fait beau il pleut. Elle habitait à Paris dans un grand appartement à côté des Halles, elle a reçu toutes sortes de gens. Elle n’en avait que pour Paris, son remue-ménage, ses trépidations, son métro glissant, ses heures de pointe, ses chauffeurs de taxi. Elle a voyagé, beaucoup. Un jour son corps s’est arrêté, il n’a plus voyagé du tout, quelqu’un ou quelque chose a appuyé sur le bouton off, tout s’est éteint dedans, c’est peut-être quand Madeleine est morte.
Mémé Jeannette regarde par la fenêtre, le soleil s’étale désormais dans les feuillages rouges et or, il y a de l’agitation, ça sent la cuisine. Il doit être 11h30, c’est l’heure où on mange. On va venir la chercher, la descendre par l’ascenseur, la poser à une table avec plein d’autres vieux impotents dans des fauteuils. Ils sont regroupés dans une salle, une aide soignante par personne. Les vieux ne peuvent plus bouger ou parler ou ont perdu la tête, ils lancent des borborygmes aux visages des aides soignantes en recrachant leurs purées. Les aides discutent entre elles. Attention à la purée, Monsieur Dubois, tenez-vous tranquille cette fois. Parfois certains sont privés de dessert.
Mémé Jeannette regarde par la fenêtre, l’étendue du désastre. Madeleine est morte d’un infarctus dans un fauteuil du salon de leur maison. Madeleine, son amour, sa compagne. C’était un jeudi de juillet, elle s’en souvient, il faisait tellement chaud. Elle rédigeait une commande dans le bureau, elle est sortie de la pièce pour se faire un thé. En passant dans le salon pour aller à la cuisine, elle a senti le grand silence. Elle s’est arrêtée. Madeleine, elle était morte sans rien dire, sans encombrement, un livre de Dostoïevski à la main. Après, mémé Jeannette a traîné ses pieds dans les rues et les choses de la vie, et la fadeur du monde a tout enveloppé.
Mémé Jeannette regarde par la fenêtre, les croix grisâtres qui dépassent comme des têtes aux yeux écartées. Elle sont les gardiennes de la maison de vieux, elle sont le loup de leur monde, si vous ne mangez pas votre dessert vous finirez au cimetière. Mémé Jeannette est nostalgique, si elle pouvait, elle ne mangerait plus aucun dessert, elle ne mangerait plus du tout, mais elle est condamnée à avaler du bon dessert au chocolat, à vivre.
Mémé Jeannette regarde le plafond. C’est le début de l’après-midi, l’heure de la sieste. Yves est venu la chercher, l’a amenée à la cantine. Aujourd’hui, en dessert, c’était banane flambée, elle a tout mangé. Après le repas, Yves l’a allongée sur le lit, elle est censée dormir. Elle compte les rainures et les fissures, il suffit qu’on lui demande de dormir pour qu’elle n’arrive pas à le faire. Elle s’ennuie, elle se chante des chansons comme quand, enfant, elle était malade et que personne ne venait la voir. Dans son lit, elle s’inventait des mélodies, elle se souvient avoir travaillé pendant deux jours c’est la mère Michèle qui a perdu son chat en inversant toutes les syllabes, C’est la chère Mimèle qui a cherdu son pat...aujourd’hui encore, elle peut chanter cette version sans une erreur.
Mémé Jeannette regarde la télévision. Après la sieste, c’est l’heure du jeu de lettres sur un grand écran plat. Elle n’entend pas bien, elle se laisse porter par les images, souvent elle décroche, parfois même elle s’endort. Alors mémé Jeannette, on vient juste de faire une sieste !
Dehors, le jour décline, la pluie est revenue, le vent s’est levé, les arbres frémissent, les oiseaux fuient. Mémé Jeannette rêve qu’elle se lève de son fauteuil. Excusez-moi, elle passe entre les vieux, rentre sa main dans l’écran, appuie sur le nez du présentateur, la télé s’arrête, l’écran devient noir et vide comme la nuit.
Mémé Jeannette regarde par la fenêtre, la nuit est noire et tombée. Yves l’a ramenée dans sa chambre après le repas du soir. Il appuie sur le bouton du store électrique qui descend en grinçant. Derrière la vitre maintenant, un monde blanc à rayures parallèles. La chambre se rétrécit d’un coup, la lumière blafarde du néon donne à Yves un air fatigué. Il soulève Jeannette de son fauteuil, l’allonge sur le lit, la pommade pour les escarres, le massage des mollets, la chemise de nuit, une grande chose ample comme un fantôme, son corps fluet censé se mettre dedans.
Bonne nuit et Yves s’en va, fermant la porte d’un coup sec.
Mémé Jeannette regarde le plafond.
Elle ne dort pas, elle se chante des chansons.
Des chansons anciennes qu’elle se fredonne doucement
Ce soir j’attends Madeleine, j’ai apporté des lilas
Dans sa tête, ça chante tellement fort que le sommeil ne vient pas.
Madeleine, c’est mon Noël, c’est mon Amérique à moi.
Et quand le sommeil vient soudain,
Ses yeux ne se ferment pas.
Ils restent grands ouverts...
Sophie David


Ainsi passent les jours (Asi pasan los dias)


La pluie tombe depuis trois semaines, la rivière a encore gonflé et il faut encore déplacer la cabane un peu plus haut. Défricher, creuser l’argile, enficher les bois porteurs mouillés et glissants, se vautrer dans la boue, repositionner le feuillard, étaler les branchettes sur le layon -au moins jusqu’aux latrines- faire tout ça et le reste maintenant, sans y penser, parce qu’y penser ça décourage et le courage je sais plus où il se planque.
Quand j’ai rencontré Pauline je jouais encore du piano dans un resto banlieue ouest, bouffe de bourges genre grande assiette porcelaine octogonale végédesign avec trois haricots, deux petits pois, une lamelle de carotte pour le vif et un trait de sauce jaune. Gastronomie minimaliste et papilles en berne. D’un point de vue artistique c’était pas Alcimboldo, d’un point de vue gastronomique j’appellerais ça une dégoûstation. Au piano, j’improvisais jazz décontracté because le talent décalé et la facilité inachevée, avec des éclats brisés ça et là . Trois ans que ça durait. Un soir de janvier post-fêtes, glacial, noir et déprimant, un verre s’est fracassé, Pauline a titubé de la table proche du piano où elle avait soupé liquide en compagnie de deux trous du cul élevés en école de commerce, agrippa le SM58 qui ne me servait plus qu’à annoncer et chanta. La jungle et le désert, un torrent et des vagues. Elle miaulait, feulait, agrippait les branches, surfait le tube, dévalait la dune et se retrouvait dans le bus après un scat barré démarrant free-java pour virer passo-bop. Féline, douce, rauque et rock, susurrée, murmurée, calibrage de tympans, préchauffage des marteaux, bref ça m’a tué. Détail sublime, touche irradiante, harmonie cosmique : elle n’avait pas touché à son assiette.
Signe évident de lucidité. Pas du genre cinq fruits et légumes par jour , flûte !... aujourd’hui je n’en ai consommé que quatre !... c’est grave, doc ? Hygiène alimentaire de tout premier ordre: pas de légumes, pas de fruits. Cinq viandes par jour, cuisine au saindoux, bol de viandox au petit déj...
Perso j’ai souvent un sandwich au pâté de campagne au fond du cartable où s’entassent mes partitions. Réaction psychogène à un boulot alimentaire dans un resto qui ne l’était pas. Ce soir là à 2 bouteilles moins le quart de Château La Caderie elle est montée dans ma vieille citron dont le cardan gauche claquait comme la caisse claire de Sunny Murray. J’ai pas refermé le piano et roulé tranquille, 160 BPM dans la poitrine, jusqu’à Malakoff où un ami plasticien me sous-louait son atelier d’artiste depuis un départ pour une méditation prolongée dans un ashram du sous-continent indien, au coeur d’une région réputée pour la qualité de ses produits à inhaler. J’ai ouvert un flacon de Limoncello, une boisson artisanale confectionnée par un cuisinier-paysan du Périgord avec du citron, du sucre, de l’alcool pharmaceutique à 90° et de l’eau distillée . C’est une question de proportions. Il y met vraiment beaucoup de citron. Pauline n’était pas allergique à la vitamine C, ça m’a tout de suite sauté aux yeux. Depuis cette soirée on s’est fait des bleus, des câlins, des poutous, collé des baffes, on s’est mordu les dents, frotté les lobes, léché les crottes de nez et bu nos larmes.
On a marché, trébuché, boitillé, on s’est perdu, égaré, retrouvé, et on s’est couru après et avant. C’est un peu comme ça que j’ai échoué ici. Mais je vais la retrouver. Sûr. Quelques petites choses à régler et nous filons vers un autre endroit, une autre vie. On va se marier et avoir 5 enfants. Non, là je déconne, c’est pour vous faire marcher. Je sais aussi comment ça va se passer, elle va me jeter ce qui lui tombera sous la main: une bouteille, un appareil photo, une brique, une poignée de boulons, un poulet fermier, l’intégrale de Johnny, elle va enfiler des espadrilles et disparaître. Je crie casse-toi, je patiente trois nuits ou deux heures mais je claque la porte derrière moi et je prends le prochain bus à sa poursuite. Faut être con. On me l’a déjà dit...
Chaque pelletée de boue est soigneusement répartie de chaque côté d’une rigole pour évacuer la flotte qui tombe glacée, coule partout, sur les feuillages, sur la clairière, partout, crépite sur le fleuve, dégouline sur mon chapeau, sur mon cuir fourré et graisseux, sur mon visage, s’écoule sur mes jambes, dans les godasses, partout. Des larmes de pluie. Partout. Il fait 3°, je squatte un phare dans les cinquantièmes. J’attends, j’organise l’attente, je prépare l’éternité. Ainsi passent les jours.
La première fois le bus m’a déposé du côté de Langogne, en Lozère. Froid. Humide. Je l’ai récupérée qui gardait des salers sacrées d’une demi‑tonne dans une ferme écotechnique. Muette.
Elle buvait un bol de café soluble. Depuis la table de la cuisine on voyait le ciel gris par un soupirail de fonte. J’ai pris un verre, touillé un soluble et me suis assis. On est resté là un moment.
Silencieux. J’ai pris sa main et elle a posé sa tête contre moi. Je respirais ses cheveux. On a laissé ses affaires là. Plus tard, à Sète, la fenêtre de la chambre ouvrait sur le port. On mangeait n’importe quand. Quand la faim nous poussait dehors. L’odeur du port, gas-oil, iode, mouettes... l’air qui giflait en février. On remontait vite les escaliers pour se jeter sur le lit. L’hôtel était désert. Ainsi passaient les jours... Ce matin là, en montant l’escalier, j’ai eu un frisson. L’hôtel était encore plus désert que d’habitude. Le courant d’air saturnien me glaça les vertèbres. La porte de la chambre baillait. Je me suis allongé sur le lit. Enfoui mon nez dans son oreiller. Deux mois après, un contrebassiste improvisateur que j’apprécie pour sa version hardcore d’ « O Sole Mio » croyait l’avoir aperçue dans un pintxos à la Tamborrada de San Sebastian. « Pas sûr‑sûr... ce soir là tu sais, j’avais bu... - comme ce soir ?... - comme ce soir... Quizas, quizas, quizas »... J’ai roulé toute la nuit et le matin je l’ai retrouvée sur cette place cernée de balcons numérotés. Elle buvait un vin épais et noir. Elle m’a sourit. Pas surprise. Une larme a vogué sur sa joue. On s’est embrassé comme pour toujours. Une hirondelle en cage ça n’existe pas, alors on a volé ensemble à travers la Galice vers le cap Finistère...
Luarca, San Esteban de Pravia, Muros, Malpica... Là où il y avait un piano et un patron accueillant, on se posait 2, 3, 8 jours, et puis fallait chercher un autre piano pour qu’elle puisse bouger et chanter. Sa voix me filait toujours le spleen comme la toute première fois. Sa voix. On passait des heures à marcher le long de la mer. Le vent et sa voix. Le vent. S’asseoir et regarder les vagues.
Infinies. Les ondes, les frissons sur toute la surface, du creux à la lèvre. C’était nous cette écume. Sa voix. Fondre l’un dans l’autre. Dans la vie. Dans le mystère. Nos mains se serraient, se frôlaient, se parlaient. Nous n’avions pas de projet pour la seconde d’après. Juste d’être ensemble. Et bouger.
Bouger pour se mettre à l’abri. Nous préserver de toute incursion extérieure. Nous deux. Nous deux et les autres. On se reconnaissait et on se déchirait les lèvres. A la Casa de Mariquinhas, dans le vieux Porto, il n’y avait que des guitares. De celles qui jouent le blues de la mer. Elle a chanté et dansé toute la nuit en me brûlant les yeux... J’ai su... Saudade. Au petit matin elle a disparu dans des bulles de vinho verde. Au coin de la rue chez Joao j’ai mangé un sandwich baccalao et bu un flacon de rojo. Rouge sur blanc, tout fout l’camp. Je ne suis pas retourné à la boite de fado. Pas la peine. A l’envol les papillons ne laissent pas de traces mais en l’air ils nous fascinent... Elle voulait regarder l’estuaire, l’océan et le ciel comme les explorateurs il y a cinq siècles. J’ai filé sur l’autoroute pour Lisbonne. La Tour de Belem. Je savais qu’elle avait marché là hier soir ou ce matin . J’ai fait dix fois le tour du monastère des Hièronomytes. De combien l’avais-je manqué ? Quelques heures, quelques minutes ou quelques secondes... Je dormais sur la banquette arrière de la DS. Il y avait son odeur.
J’avais retrouvé une boucle d’oreille et un long cheveu sur l’appui-tête. J’entendais une voix, une musique. Asi passan los dias... C’est Ciego qui jouait de l’accordéon avec des lunettes noires et une canne blanche au bord du Tage qui l’avait vu vers le port, là où d’immenses carcasses d’acier chargeaient marchandises et gens vers l’outre-mer. J’ai arrêté d’arpenter le monastère. Une cigogne noire est passée dans le ciel. Dans un bistrot du quai où je tenais un piano de contrebande accordé par un docker ivre j’ai rencontré cet hollandais madérisé beuglant « Asi Pasan los Dias ». Il avait fait le voyage avec elle sur un porte-container. Elle bossait à la cambuse et chantait en préparant les légumes. Une voix qui vous fend en deux. Le soir elle montait sur le pont. A la proue. Quand l’étrave ouvrait les vagues, ses cheveux flottaient lourds de sel. Tous les marins étaient dingues d’elle. Tous. On peut pas l’oublier. Elle chantait toujours cette chanson... Ouais elle a disparu à Porto Alegre pendant qu’on transbordait de la marchandise sur une épave chilienne. Un oiseau... Asi Pasan los Dias... Ouais, une sacrée chanteuse... Le tas de ferraille chilien ? Comment s’appelait-il déjà ?... L’Augusto, ouais c’est ça, l’Augusto, ouais, à cause du président... J’ai scotché AV sur la vitre de la citron et vendu la DS au milieu d’un carrefour à un mec qui me klaxonnait depuis vingt minutes. Il y tenait. J’ai pris un low cost dernière minute pour le Brésil. A la capitainerie du port le gros phoque avec ses breloques et sa casquette d’opérette ricanait en se curant les dents avec un couteau « l’Augusto ? Madre deus! Il fait la planche dans le sud quelque part vers Punta Arena ou Ushuaia. Faut y aller par la route... la bi-océanique... Le bus c’est très bon... oui, très bueno... » Une semaine dans ce bus à mater les paysages, la montagne, les bourgs où l’on s’arrêtait pour pisser, manger de la barbaque grillée et des beignets improbables au bord de la route, et surtout vider des Austral pas fraîches. Des heures à somnoler avec le moteur qui jouait Asi Pasan los Dias en boucle dans ma boîte crânienne. Punta Arena sentait les océans. Une ville colorée et des containers. Au « Bronco » je m’empiffrais de burgers et de bière. Un patron plutôt taciturne. Un cadre bois avec un octave à peu près juste. Ca me convenait, j’étais moi-même pas très causant. Qu’est-ce-que je foutais là ? Les jours passaient ainsi que la vie. Le taciturne me dégoupillait des Australs sur le fourneau, et moi, nassé dans ce cul-de-sac, vidé, atone, je n’attendais plus que la prochaine binouze. Puis un soir j’ai entendu ce gros steak siffler Asi pasan los dias -toi aussi ça te trotte dans la tête ? Ça te vrille les neurones ? Ses yeux d’océan, son cou de cygne. Tu l’as vue? Aperçue?... Elle chante toujours ?...
Dans les Magdalènes ? D’île en île, de caillou en rocher, toujours vers le sud ? J’ai fini la soirée avec le steak qui pleurait comme le ciel. Le taciturne m’a tendu un mix de biftons, dollars, pesos, sterlings, enfin ce qu’il avait dans la caisse. Il a décroché sa super doudoune en peau fourrée - « Tiens pour le sud, tu me la rendras quand tu repasseras ». Alors j’ai dégringolé vers le sud. Après Ushuaia faut suivre une flèche de bois qui indique « faro fin del mundo ». Les Patagoniens l’appelle comme ça. Depuis quelques semaines je vis là. Dans le phare en bois. J’aménage les parages. Je ramasse du bois, je pêche et je tape dans les provisions destinées à des naufragés comme moi. Les couleurs sont magnifiques et le vent hurle continuellement. Je marche péniblement sur de surprenants sentiers tracés par des chèvres. C’est la fin du monde, je ne bougerais plus... Pourquoi faire ? S’engourdir. Rien n’est semblable et tout est pareil. La pluie en rafales. Un vent énorme. Un vent dément. Entre deux bourrasques j’ai entendu la vie qui passe... Estas perdiendo el tiempo, pensando, pensando... C’était comme une musique dans ma tête... Asi pasan los dias y yo desesperando y tu ,tu contestando... C’était pas dans ma tête, ça arrivait entre les rafales. En gifles.
J’ai levé les yeux. Elle est apparue au bout du sentier. Dans un gros parka militaire. J’ai lâché la pelle, couru sur le sentier glissant. Il n’avait jamais fait aussi beau. Je l’aurais devinée même sous une combinaison de spationaute. Elle souriait en fredonnant Asi Pasan los Dias. La chaise électrique est moins définitive. On s’est serré pour échanger nos veines, souder nos nerfs, compresser nos coeurs. Immobiles. Longtemps. Les vagues dans les yeux. C’est sûr on va plus se lâcher. On ira tout au bout de la houle. Plus bas. Plus bas c’est la glace. Il n’y a pas de piano. On chantera. On aura chaud. Ainsi passent les jours jusqu’à la fin du monde.
Louis Mau
À Osvaldo Farrès qui a composé « Quizas, Quizas, Quizas »
Y asi pasan los dias
Y yo desesperado
Y tu,tu contestando
Quizas, quizas, quizas ...

Palmarès 2017

12 Mai 2018 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Palmarès, #Texte lauréat

Palmarès 2017


Prix Gaston Welter :
"Fallen Angels (les anges déchus)"
Jean-Louis Maury (Monplaisant - 24)


1er Prix d’honneur :
"Les cris de chaton de Lise"
Mathilde Lavergne (Pau - 64)


2ème Prix d’honneur :
"Comme avant"
Jean-François Jeanne (Triel-sur-Seine - 78)

 

7 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
"Mat"
Renaud Corbin (Messei - 61)
"Sursaut collectif"
Agathe Hitchon (Nantes - 44)
"Comme avant"
Jean-François Jeanne (Triel-sur-Seine - 78)
"Les cris de chaton de Lise"
Mathilde Lavergne (Pau - 64)
"Fallen Angels (les anges déchus)"
Jean-Louis Maury (Monplaisant - 24)
"Le jardin d’enfants"
Patrick Morel (Orival - 76)
"Sans profession"
Gautier Savard (Metz - 57)


44 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
"Olya"
Gwendoline Allamand (Feigères - 74)
"Saisons"
Véronique Amans (Surgères - 17)
"Premier appel"
"Meurtrissure"
"La fin des saisons"
Marie Berthelier (Toulouse - 31)
"Les remparts"
Claude Carré (Champigny - 89)
"Le couloir"
"L’arme à l’oeil"
Florent Cerou (Metz - 57)
"Mat"
Renaud Corbin (Messei - 61)
"Le ru"
Christelle Courau-Poignant (Epaux-Bézu - 02)
"Une fille à marier"
Thierry Covolo (Lyon - 69)
"Vacarme"
Jean-Marie Cuvilliez (Etais-la-Sauvin - 89)
"Le choc"
Olivier Delau (Capdenac - 46)
"Des éclats de couleurs"
Marie-Lou Dulac (Paris - 75)
"Feu rouge"
Alexandra Estiot (Paris - 75)
"Croquemitaine"
Martine Ferachou (Saint-Junien - 87)
"Fran"
Jean-Marie Fessler (Brumath - 67)
"Regards interdits "
Magali François (Saint-Maximin-la-Sainte-Baume - 83)
"Le pendentif"
"Statistiques"
"Les puces de St-Michel"
Roland Goeller (Bègles - 33)
"Sursaut collectif"
Agathe Hitchon (Nantes - 44)
"Un accident"
Solange Jarry (Périgny-sur-Yerres - 94)
"Comme avant"
Jean-François Jeanne (Triel-sur-Seine - 78)
"Une ombre dans le noir"
Michèle Labbre (Léognan - 33)
"Rideau !"
Sylvie Lavarte (Liesse-Notre-Dame - 02)
"Les cris de chaton de Lise"
Mathilde Lavergne (Pau - 64)
"La statuette aztèque"
Michelle Maire (Marange-Silvange - 57)
"Mademoiselle Valentine"
Bernard Marsigny (Marcoux - 42)
"Fallen Angels (les anges déchus)"
Jean-Louis Maury (Monplaisant - 24)
"Le jardin d’enfants"
Patrick Morel (Orival - 76)
"Ave Maria"
Jean-Marie Palach (Saint-Maur - 94)
"Darjeeling"
Fabien Philippe (Montréal - Québec)
"Naufrage"
"La petite voix"
Marie-Christine Quentin (Alençon - 61)
"Boum"
Chantal Rey (Montauban - 82)
"Hauteur de vue"
Claire Rieussec (Toulouse - 31)
"Lucien"
Jean-Marc Santini (Marseille - 13)
"Sans profession"
Gautier Savard (Metz - 57)
"Parkinson café"
Catherine Schmoor (Lyon -69)
"L’échappée belle"
Christiane Sibieude (Strasbourg - 67)
"Abandonnée"
Jean-Claude Thibaud (Dublin - Irlande)
"Des crocs à la rhubarbe"
Corinne Valton (Colombier - 03)
"Promenade de santé"
Naïm Zriouel (Vitrolles -13)

 

INFORMATION - CHANGEMENT DE DATES

23 Mars 2021 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Général, #accueil

Les lauréats du prix de la Nouvelle Gaston-Welter 2020 seront prévenus pour le 28 mai 2021 au lieu de décembre 2020.
La remise des Prix du concours se fera fin septembre 2021 (au lieu de mai 2021).
Les conditions sanitaires nous obligent à modifier le calendrier initialement prévu.
Veuillez nous en excuser,
 
Pour ce qui concerne le Prix de la Nouvelle Gaston-Welter 2021, les textes sont à envoyer avant le 25 juin 2021 date inchangée.

Palmarès 2015

10 Mai 2016 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Lauréats, #Palmarès

Palmarès 2015

Prix Gaston Welter ex aequo : « La chambre de Jeannette » Sophie David (Thorigny sur Marne - 77)

« Ainsi passent les jours (Asi pasan los dias) » Louis Mau (Monplaisant - 24)

2ème Prix d’honneur : « Poison volant » Bernard Jacquot (Blagnac - 31)

9 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection : « Tout ira bien » Sarah Berty (Rebecq - Belgique) « Roule, roule » Jean-Marie Cuvilliez (Cravant - 89) « La chambre de Jeannette » Sophie David (Thorigny sur Marne - 77) « Poison volant » Bernard Jacquot (Blagnac - 31) « Ainsi passent les jours (Asi pasan los dias) » Louis Mau (Monplaisant - 24) « Sans jeter un cri » André Morel (Jonquerettes - 84) « Tombent les âmes » Jean-Marie Palach (Saint-Maur - 94) « La princesse et le pirate » Emmanuelle Stambach (Laroque-Timbaut - 47) « Petite grosse » Eddie Verrier (Saint-Saulve - 59)

27 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection : « Ascenseur » « Vernissage » Laurence Allemanni (Paris - 75) « La lettre » Jeanine Basquin-Milli (Allenwiller - 67) « Tout ira bien » Sarah Berty (Rebecq - Belgique) « Taxi » Gaëtan Brixtel (Saint-Lô - 50) « Chasseurs d’orages » Emmanuelle Cart-Tanneur (Saint-Genis-Laval - 69)

« Tout fout le camp » Vincent Culambourg (Villers Saint Paul - 60) « Roule, roule » Jean-Marie Cuvilliez (Cravant - 89) « Contre vents et marées » Joëlle Cuvilliez (Montreuil - 93) « Un parfum de fougère sèche » Michel Darche (Chevannes - 89) « La chambre de Jeannette » Sophie David (Thorigny sur Marne - 77) « Un vaccin contre le destin » Clément Dutroncy (Lyon - 69) « Les quatre arbres » Joëlle Ginoux-Duvivier (L’Isle-Adam - 95) « Poison volant » Bernard Jacquot (Blagnac - 31) « La source du diable » Baptiste Ledan (Paris - 75) « A Londres, des jeunes filles en pleurs… » Gérard Lossel (Nantes - 44) « Ida » Céline Mafille (Marange-Silvange - 57) « Ainsi passent les jours (Asi pasan los dias) » Louis Mau (Monplaisant - 24) « Sans jeter un cri » André Morel (Jonquerettes - 84) « Tombent les âmes » Jean-Marie Palach (Saint-Maur - 94) « La crise » Anne-Marie Puyhardy (Metz - 57) « L’effet miroir » Marie-Christine Quentin (Alençon - 61) « Dans l’ascenseur » Nirina Ralaivao (Nîmes - 30) « Le lapin » Benjamin Redon (Paris - 75) « Vent de panique sur Ysignac » Jean-Pierre Sombrun (Périgueux - 24) « La princesse et le pirate » Emmanuelle Stambach (Laroque-Timbaut - 47) « Petite grosse » Eddie Verrier (Saint-Saulve - 59)

Palmarès 2014

5 Juin 2015 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Palmarès, #Lauréats

Palmarès 2014

Prix Gaston Welter :
« Fleurs en scène »
Laurence Marconi (Bussy-Saint-Georges - 77)

1er Prix d’honneur :
« Épiphanies en juin »
Michel Cernay (Nice - 06)

2ème Prix d’honneur :
«Revenir»
Christine Borie (Brive-la-Gaillarde - 19)

9 nouvelles ont été retenues lors de la deuxième sélection :
« Revenir »
Christine Borie (Brive-la-Gaillarde - 19)
« Épiphanies en juin »
Michel Cernay (Nice - 06)
« Le chagrin d’Elsa »
Martine Ferachou (Saint-Junien - 87)
« Une place dans le monde »
Michèle Gerber (Malakoff - 92)
« La bleue »
Joël Hamm (Simandre - 71)
« Fleurs en scène »
Laurence Marconi (Bussy-Saint-Georges - 77)
« Un mois de retard »
Jean-Marie Palach (Saint Maur - 94)
« Confession d’un traître »
Jean-Christophe Perriau (Athis-Mons - 91)
« Plan B »
Béatrice Willaume-Couturier (Gérardmer - 88)

24 nouvelles ont été retenues lors de la première sélection :
« La descente »
Anne-Marie Arborio (Marseille - 13)
« Le mandat »
Arno et Jad (Saint Denis La Réunion - 97)
« Un seizième, ce n’est rien ! »
Pierre Aubry (Paris - 75)
« Une rencontre inoubliable »
Marjorie Berti (Briey - 54)
« Le marché des rêves »
Frédérique Biasetti (Saint-Cannat - 13)
« Revenir »
Christine Borie (Brive-la-Gaillarde - 19)
« Épiphanies en juin »
Michel Cernay (Nice - 06)
« Un sourire parfait »
Sophie David (Thorigny sur Marne - 77)
« Le chagrin d’Elsa »
Martine Ferachou (Saint-Junien - 87)
« Une place dans le monde »
Michèle Gerber (Malakoff - 92)
« Des bigoudis dans le steak haché »
Eric Gohier (Frontignan - 34)
« Le bleu de mai »
Barbara Graziani (Marseille - 13)
« La bleue »
Joël Hamm (Simandre - 71)
« En douceur »
Laura Kuster (Certilleux - 88)
« La course du 1er mai »
Didier Large (Ornacieux - 38)
« A la recherche du doudou perdu »
« Fleurs en scène »
Laurence Marconi (Bussy-Saint-Georges - 77)
« Voix intérieures »
Elisabeth Martinez-Bruncher (Sisteron - 04)
« Le chauffeur et les valises »
Frédéric Nivaggioli (Marseille- 13)
« Un mois de retard »
Jean-Marie Palach (Saint Maur - 94)
« Confession d’un traître »
Jean-Christophe Perriau (Athis-Mons - 91)
« Six faces »
Catherine Quilliet (Grenoble - 38)
« Commencer la chasse »
Corinne Valton (Colombier - 03)
« Plan B »
Béatrice Willaume-Couturier (Gérardmer - 88)

Le comité de lecture

27 Mai 2013 , Rédigé par JG Publié dans #Général

Sylvie JUNG : Présidente du comité de lecture
Anne CROCITTI : Adjointe au Maire chargée de la culture
Jean BAILLEUX
Mohammed BEL GAHLA
Geneviève BERTIN
Luc BIBAUT
Jérôme CARRY
Cécile DELADOEUILLE
Françoise DOUCHAMPS
Perrine DOYEN
Pierre DRATWICKI
Hélène GAUTIER
Delphine GEORGE
Marie-France KREBS
Christelle MONNOT
Emilie DUBOIS-MULLAERT
Didier RIZZO

Présidents honoraires :
Roger TERRE
Michèle WELTER

1er Prix d’honneur 2013 : La force de ceux qui n’en ont plus

13 Mai 2014 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Lauréats

Mélanie Ménage est une femme sur qui le nom de famille a exercé une influence déterminante. Dès l’adolescence, elle a quitté l’école pour briquer, astiquer, fourbir et polir. Chez les autres, car chez elle, c’est crasseux. Son logement est un taudis fait de boue et de crachat dans lequel le soleil n’ose pas aventurer un rayon, un cloaque à bon marché décrété insalubre par les services sociaux qui ont apposé un écriteau « Défense d’habiter » sur la porte. Et les choses n’ont fait qu’empirer depuis son mariage avec Pierre Pinard, homme sur qui le nom de famille a exercé une indéniable influence également.
Justement, parlons-en du Pierrot : maigre comme un clou, le visage mangé par une barbe douteuse, les dents déchaussées, les yeux vert marécage. Il boit tellement qu’il ne peut plus lever les orteils ; l’avant de ses pieds traîne à la marche. Polynévrite alcoolique, d’après le docteur, avec le chômage comme symptôme. Une bonne raison de se soûler, un moyen d’oublier la vie qu’il a. Justement, la vie, il n’en veut plus — il n’en a jamais voulu. Mais c’est l’heure de l’apéro. Au comptoir du bar qui sent la bière éventée et le chien mouillé, ce solide buveur commande sa dose avec cet accent épais du Lot-et-Garonne qui rend ses paroles incompréhensibles. Il se fichera en l’air plus tard, car le temps n’a pas usé ce prodige : aujourd’hui encore, il se sent mieux quand il sait son verre d’habitué à portée de main. Ce verre dont le contenu gâte ses moeurs déjà mauvaises, les envenime, le fait causer avec des mots salingues en tordant la gueule.
Il est treize heures quand Mélanie Ménage — épouse Pinard — revient avec des fruits gâtés que les vendeurs bradent à la fin du marché du Pin. Cette femme corpulente à la tignasse jaune javel peine à monter les cinq étages sans ascenseur de son HLM agenais. La cigarette chevillée au corps depuis l’enfance, une douleur la traverse à chaque respiration, l’oblige à faire une halte sur chaque palier. Quand elle arrive enfin devant son appartement, elle entre sans clef ; le bâti a été forcé, la porte ne ferme plus. À l’intérieur, ça sent plus fort le gaz que le renfermé. Pas normal, ça ! Elle va ouvrir la fenêtre. Au travers de ses lunettes aux verres loupes qui lui font un regard de poisson mort, elle voit un mot sur la table, puis Pierre étendu sur le sol, la tête dans le four. Elle murmure le prénom de son mari, comme si elle n’avait pas le droit de crier. « Faut pas l’ouvrir, faut jamais l’ouvrir » lui répétait sa mère avant de tomber dans le Canal du Midi. Mélanie a mal dans la poitrine ; elle a un point entre ses longues mamelles qui ballottent. Elle se sent démunie, gênée du regard vindicatif qu’elle pose sur le corps inerte autour duquel tourne une grosse mouche bleue. Elle saisit le mot et lit : Je me suis suicidé. Appelle le 15.
Son geste lui coupe les jarrets, la ramène aux pires heures de son existence, à son enfance déglinguée. Les souvenirs affluent comme une rivière boueuse qui déborde de son lit sans prévenir. Pierre a renoncé, il l’a laissée.

Elle pose ses mains sur le dossier collant d’une chaise qui supporte un instant le poids du malheur. Elle tente de comprendre, mais il n’y a rien à comprendre. Il s’est barré comme un dégonflé, voilà tout !
Elle l’a mauvaise, comme l’haleine.
Elle marmotte un « Lâcheur ! » encoléré en remontant sur son nez graisseux ses lunettes rafistolées avec du sparadrap. En même temps, ça devait arriver, se dit-elle. Alors, Mélanie Ménage — veuve Pinard — se ravise.
Après tout, c’était son homme.
Son bonhomme.
Le 3 mai, il aurait eu quarante ans.
Elle pense faire les funérailles le 1er avril. Qu’est-ce-que je vais lui mettre ? se demande-t-elle. Elle le regarde comme une formalité à effectuer quand une odeur pestilentielle lui arrive au nez. Est-il déjà en train de se décomposer ? Ses larges narines se dilatent sur les côtés ; elle connaît cette puanteur. Il a loufé ? s’étonne-t-elle in petto.
Et s’il était vivant ?
Elle s’approche, le secoue. Les paupières de Pierre tremblent. Il ouvre les yeux. Il a cet air. Cet air d’animal instable, cette sauvagerie brutale et imprévisible. Cet air qui fait peur jusqu’aux autres hommes de la famille, tant il semble capable de tout.
Sirène, remue-ménage dans les communs, cliquetis métallique.
Se décider à appeler les secours n’a pas été facile pour Mélanie. C’est que les pompiers la connaissent bien : c’est elle qui torche les vieux de l’Assistance publique. Et puis, combien de fois ont-ils enfoncé sa porte pour lui venir en aide ? Heureusement qu’ils n’ont jamais eu d’enfants, les Pinard. À grands coups de poings qu’il discute avec sa femme, le Pierrot. OEil fermé, lèvre éclatée, incisive ébréchée, bras tordu. Encore plus fou que son dément de père. Injuste et cruel comme tout enfant battu, comme tout faible investi d’un pouvoir, passant du rôle de victime à celui de bourreau.
Ce coup-ci, les hommes en uniforme sont surpris. Première fois qu’ils viennent chez les Pinard pour une TS — tentative de suicide dans leur jargon professionnel. La dernière fois, Pierre s’étouffait avec ses vomissures pendant un coma éthylique. Il faut dire que c’est du guignol, ce type-là. Persuadé que sa femme est ladre, qu’elle ne sent pas les coups.
— Et si j’étais entrée avec ma clope ? réalise-t-elle soudain.
— Vous auriez sauté avec la baraque, confirme un pompier. Une étincelle et c’est le feu d’artifice avec le butane !
Mélanie opine du chef en signe d’acquiescement, passe ses doigts dans la paille qu’elle a sur le crâne. Des doigts ? Non, des boudins pourprés

et crevassés, accrochés à des mains récureuses de plats en fer-blanc. Elle continue à dodeliner de la tête, accoutumée à faire siennes les affirmations masculines.
Au même moment, un brisement immense s’empare de Pierre Pinard. Le petit, qui pissait de trouille sous les couvertures en entendant son père rentrer, est revenu du passé. Un petit Pierre à la chair meurtrie, un Pierrot tremblant au visage plein de larmes.
Méconnaissable.
C’est à croire qu’il restera éternellement ce gamin craintif traînant sa peur partout avec lui. Mélanie lui tapote l’épaule comme on flatte un chien docile, et lui dit :
— Tout va bien se passer maintenant.
Rien ne l’y oblige, mais par habitude, ou par abattement, il lâche un « Merci » faiblard.
Aussitôt, il le regrette, se méprise.
Mélanie regarde les uniformes s’agiter autour de son homme. Se sentant inutile, elle descend au pied de l’immeuble pour fumer. Pourtant, elle sait qu’elle ne devrait pas, qu’elle a le cancer qui va avec. Elle a essayé d’arrêter. Impossible. Et maintenant, c’est trop tard. Alors au point où elle en est, autant se finir. Qu’on la laisse tirer sur sa clope en paix ! En attendant l’Alzheimer qui lui fera oublier ses poumons goudronnés. Elle espère que la maladie qui efface tout ne tardera pas, car sa langue est atteinte. Avec ce que je me tiens, c’est moi qui aurais dû me jeter par la fenêtre, pense-t-elle. Je ne me serais pas ratée, moi. Pas comme Pierrot.
Certes, il aurait pu éparpiller son sac d’os comme un puzzle auquel il manque une pièce. Mais à dire vrai, il ne voulait pas mourir. Il voulait être sauvé, au contraire. Sauvé de sa femme qui ajoute l’odeur du tabac à celle des corps mal lavés et du linge humide. Éloigné de l’antipathie installée entre eux, incapable de supporter la présence de Mélanie, ses travers, ses manies. Tenu à l’écart de leurs journées routinières qui s’empilent comme des assiettes creuses.
— Un mot à votre dame avant de partir ? jette un brancardier.
Pierre regarde la tête mafflue de sa moitié : le duvet sur ses joues couperosées, la moustache sur sa bouche lippue. Ses grosses lèvres font affleurer le souvenir angoissant de l’énorme toison poisseuse en haut de ses cuisses velues.
Alors, dire quelque chose ?
Dire quoi ?
Le malheur est ineffable, la violence indicible. La misère humaine ne se partage pas, elle se vit.

Mélanie allume la télévision pour voir qui gagne à la roue qui tourne. Le volume trop fort couvre la solitude qui est son lot depuis que Pierre est parti dans le beau camion rouge. Deux semaines qu’il est à l’hôpital Saint-Esprit pour une fibrillation ventriculaire et des troubles de la conscience. Pourtant, Mélanie n’est pas triste, tant s’en faut. Le matin, elle fait la grasse matinée. L’après-midi, elle nettoie chez les autres. Le soir, elle choisit le programme télé sans se retrouver avec des marques de strangulation — même les soirs de match.
Et c’est parti pour durer, car Pierre devient fou.
Il affirme que sa femme a essayé de l’étouffer pendant son sommeil, en se couchant en travers de lui, les chairs massées de son ventre contre son visage. Parce que personne ne le croit, une colère aveugle s’empare de lui. Il explose en un de ces accès de violence incontrôlable dont il est familier. Cris, lutte, chocs sourds, mots sans suite hurlés ; quand les infirmiers parviennent à le maîtriser, c’est pour l’interner en psychiatrie à la Candélie. Soixante-dix hectares pour s’ébrouer en liberté surveillée dans le Sud-Ouest. Il y sera bien, Pierre Pinard, avec son foie aussi gras qu’un canard gavé.
*
Étonnant que Mélanie ait raté son coup. Avec la volonté qu’elle a, quand pleine d’une joie mauvaise, savourant d’avance son plaisir, elle se couche sur sa victime avec l’intention de l’étouffer comme un animal nuisible. Et ce ne sont pas les trois petits corps glacés qui gisent sous les frites dans le congélateur qui diront le contraire à propos de leur mère.

Frédérique-Sophie Braize

2ème Prix d’honneur 2013 : Debout, au coin d’une rue, dans la banlieue de Kinshasa

13 Mai 2014 , Rédigé par Mairie de Talange Publié dans #Lauréats

Les jambes lui font mal.
Deux fois par semaine, le même itinéraire... et le chariot, toujours plus lourd.
A cinquante trois ans, c’était le seul boulot qu’il avait pu trouver. Ouvrier typographe de métier, obligé de distribuer de la publicité.
Ce matin, on ne sait même pas s’il pleut. De l’eau en suspension. On est en novembre. L’humidité qui perce ses vêtements le glace jusqu’aux os. Une bruine, une bruine grasse qui fait des halos autour des ampoules des lampadaires. Une belle image sans doute pour un poète, assis au chaud derrière sa fenêtre.
Il est fatigué. Pourtant, cinquante trois ans, on dit que c’est jeune, c’est presque encore le bel âge pour les hommes. Le bel âge, ça le fait rire... Tout chez lui est fatigué et inadapté. Ses baskets sont fatiguées d’avoir trop marché, crevées aux coutures. Et légères, si légères... Ses pieds y baignent dans une humidité poisseuse. Son jean usé jusqu’à la corde, tellement fatigué lui aussi qu’il n’a plus la force de s’accrocher à ses hanches... et pas de ceinture pour sauver les apparences. Son anorak n’a d’anorak que le nom. Simulacre d’anorak qui ferait éclater de rire n’importe quel eskimo, à condition que celui-ci ait émergé des vapeurs de mauvais alcool. Finalement, dans la misère, il n’est pas si loin que ça des eskimos. Mais les eskimos, ont-ils aussi froid que lui ?...
Et ce chariot qui grince que cela en est exaspérant.
Chômage... cinquante ans... fin de droits... tout part à vau l’eau...
Il y a seulement cinq ans, il n’aurait pas imaginé qu’il en serait là... distribuer de la pub... Deux fois par semaine, le même rituel. Tous les distributeurs se retrouvent dans le vaste hangar éclairé violemment. Une lumière presque blanche. Une lumière de bloc opératoire, de scialytique. Tout y est net. Les piles de prospectus proprement rangées en un labyrinthe étrange, absurde aussi puisqu’on le surplombe. Quelques humains s’y affairent, pliés en deux, à des tâches incompréhensibles. Et dans cette lumière blanche, tous ces hommes et ces femmes qui attendent : sans sexe, sans âge, sans plus aucune dignité.
Back to the past. 1900. L’embauche chaque matin, au gré de l’humeur du patron. Tous les crèves la faim devant le portail de l’usine... qui espèrent... et passée l’heure de l’embauche, tous ceux qui repartent, les épaules avachies, honteux.
A chaque fois, le cheptel est renouvelé par moitié. Lui, il fait partie des anciens. Cela fait déjà tant de semaines qu’il vient, métronomiquement. Il se rappelle sa candidature. Il n’avait pas encore compris. Après son licenciement, il y croyait. Plein d’énergie, plein surtout d’illusions, il avait suivi tout le parcours de parfait petit demandeur d’emploi. Bilan de compétence, foultitude de lettres de candidatures désespérément sans réponse, entretien avec le conseiller de l’ANPE...
Le conseiller... parlons-en... plutôt la conseillère. Pas même vingt cinq ans. Toute jeune fille qui n’a de connaissance du monde du travail que ce que les livres lui en ont dit. Naïve elle aussi. Croyant dur comme fer ce qu’on lui a appris : ceux qui ne trouvent pas de travail n’en ont pas réellement

cherché. Ou alors, le CV est mal rédigé... le CV... que d’exemplaires rédigés puis raturés par cette gamine ne se rendant pas compte des meurtrissures qu’elle lui infligeait. Son jargon pédant d’instrument décervelé, se dépêchant de s’approprier le langage pour être comme les autres, dans le moule, déjà poussiéreuse avant d’avoir été usée. Ne se rendant même pas compte de ce que sa tenue vestimentaire représentait comme affront pour lui. Légitimant son existence à travers l’exhibition de son nombril piercé et des bourrelets de mauvaise graisse de ses hanches. Croyant qu’être c’est montrer.
Après les premiers mouvements de révolte devant tant de bêtise technocratique, il s’était éteint. Il avait basculé le commutateur. Etait devenu neutre, transparent, acceptant placidement les critiques ou les propositions. S’y pliant même.
... votre annonce de technicien de surface... mes qualités... ma forte capacité d’adaptation... vous apporter mon expérience.. je souhaite intégrer votre entreprise... je suis motivé...
Stop, ça suffit. Plus d’effort pour rien.
Tenter de retrouver, une fois l’épreuve passée, sa personnalité et, cependant, à chaque fois, toujours y laisser un morceau de soi-même. A ce jeu inhumain, il perdit un boulon de conviction, une vis de dignité, tout partait à la déglingue.
Et toujours le retour dans ce hangar. A force, il s’est fait sa propre galerie de portraits.
Il y a le jeune lycéen armé d’une forte détermination. Il ne viendra qu’une fois, démoralisé avant d’avoir terminé sa première tournée. Pourtant, il avait fantasmé la fortune. La super guitare était à portée de main, à portée de boite à lettres.
Il y a beaucoup de femmes, d’âge indéterminé. La vie ne leur a pas fait de cadeaux. Les quelques euros gagnés servant à faire bouillir la marmite, à rendre le potage un peu plus goûteux ou pire, à payer la facture d’électricité ou l’ardoise au bar.
Il y a les retraités qui eux aussi veulent compléter leur pension. Eux, c’est en couple. Petites souris besogneuses. Ils comptent méticuleusement, les corps tremblotants.
Il y a enfin les clodos. Ceux là, on les reconnaît tout de suite. Ils se regroupent en troupeau. Rigolant fort, pétant même, surtout puant.
Tous des femmes et des hommes, humains... avant tout. Jeunes ou vieux mais se ressemblant tous... gris... Toute une cohorte, photographie de la misère humaine, payée pour distribuer des prospectus sur papier recyclé, qui finiront à la poubelle, voire dans les bennes de recyclage sans même avoir été feuilletés. Des prospectus qui proposent des promos. Des promos d’articles toujours moins chers pour le consommateur qui se ruera pour les acheter, croyant faire une affaire mais s’étant une fois de plus fait tromper : le t-shirt qui en une seule fois déteint, rétrécit et se déforme. C’est peut-être ça que l’on appelle les vêtements intelligents. Le lecteur DVD qui ne passera même pas un film. Seules, les fleurs en plastique tiendront... hélas...
On est début novembre et c’est déjà les catalogues de jouets pour Noël qu’il faut distribuer. A vomir. Cette fois, il y en a un qui a fait fort. Son catalogue représente la bagatelle de 360 pages. Un livre. Il va distribuer un vrai livre. Un livre qui va être jeté à la poubelle. Et ce livre, il pèse. Il va allonger la tournée. Et dans ce cas, pas de prime. Ouvrier typographe. Distribuer des livres de publicité, mal imprimés et imprimés on ne sait où.

La boite... ils ont des super mots pour montrer qu’ils sont généreux et qu’ils donnent du travail. Au début c’était arrondissez vos fins de mois. Maintenant, il faut une lettre de motivation avec un CV.
Sa tournée à lui, c’est 1 080 boites. Pour gagner 500 euros par mois, il faut qu’il fasse deux tournées par semaine. Une tournée fait 3 jours. Il s’est amusé à compter. 1 080 boites en 3 jours, cela fait 360 boites par jour. Pour 7 heures de travail par jour, cela fait 51 boites à l’heure. 2 tournées, ça fait 6 jours. Maintenant, il a un CDI avec un salaire fixe plus une commission. Il a aussi des congés payés. Mais 500 euros par mois pour un travail plus qu’à plein temps. Pour manger, s’habiller, se loger et payer sa voiture pour porter sa tournée...
Quand il se met à penser comme ça, il devient fou. Parce qu’il ne comprend plus. Qui gagne quoi dans tout ce grand jeu ? Sans doute le magasin de jouets. Mais au prix des jouets, il a fallut ajouter le prix du livre de publicité et sa distribution. Et cette distribution qui ne rime à rien. La plupart des publicités allant à la poubelle. Quel travailleur peut-il voir le produit de ses efforts aller directement à la poubelle ?
Et toutes ces boites avec ces auto collants « Publicité : non merci »... Ils se croient sans doute malins ceux-là, ou pire, éco citoyens...
Son travail consiste à mettre des papiers dans des boites à lettres avant qu’ils n’aillent directement dans la poubelle. De quoi devenir neurasthénique.
Debout au coin de cette rue, ses pensées divaguent. Certaines incongrues. Comment font-ils à New York ? Y-a-t’il des distributeurs de publicité dans les grattes ciel ? Et à Mexico, dans les taudis, on distribue aussi des livres de jouets ?... Dans la banlieue de Kinshasa, sous le soleil implacable, le long des rues poussiéreuses, y-a-t’ il seulement des boites à lettres ?...
Penser à Kinshasa illumine un bref instant le bout de trottoir sur lequel il est, statique, perdu dans ses pensées. Il voit bien la lumière du soleil. Il sent le poids de la chaleur sur ses épaules. Ses yeux involontairement se plissent pour se protéger de l’éblouissement. Il sourirait presque.
Une goutte de pluie glisse sur ses cheveux gras, lentement. Pendant une fraction de seconde, elle se retient, accrochée comme par miracle. Mais son poids l’entraîne. Elle tombe dans son cou, minuscule poignard glacé qui coule entre ses épaules. Il frissonne, revenant brutalement à la réalité.
Consciencieusement il remplit sa besace qui pèse à son épaule, charge son chariot et commence sa tournée...
...et le grincement du chariot, toujours...

Luc Doin

La brochure 2016

16 Mai 2017 , Rédigé par Mairie de Talange